Lectures pour l'été 2017 - Poches - Essais & documents

VergezBénédicte Vergez-Chaignon, Les vichysto-résistants (Tempus)

La Seconde Guerre mondiale est régulièrement l’objet d’études très diverses. Les Vichysto-résistants apportent une pierre inédite à cet édifice. Bénédicte Vergez-Chaignon  rappelle que de nombreux résistants, et non des moindres, ont trouvé des bienfaits au régime de Vichy. Henry Frenay, par exemple, qui fut l’un des principaux chefs de la Résistance et ministre de De Gaulle à la Libération, a fait, en 1940 et 41, les louanges de Pétain, considérant l’Homme du 18 Juin comme un militaire rebelle. Le terme « vichysto-résistant » désigne les « patriotes » qui se rangent aux côtés de Pétain, par sentiment antiallemand ou par volonté de redresser le pays, avant de se rendre compte de leur erreur. Cet épais ouvrage est une sorte d’épopée humaine extrêmement riche qui met bien en évidence l’ambivalence de certains choix durant cette époque troublée.

Il révèle notamment qu’il régnait, chez ces résistants, derrière la question du « problème juif », un antisémitisme plus ou moins avoué. Un document daté de mars 1944 demande par exemple que les « Israélites » soient écartés « de tout gouvernement et de toutes les fonctions publiques », sous prétexte que « le Français (…) voudrait se débarrasser des échappés du ghetto qui, chassés de partout, on envahi notre pays, sans espoir d’assimilation ». Si l’auteur de ce texte reconnaît que les persécutions contre les Juifs, « ont toujours paru odieuses, il ne faut pas croire que la population française soit prête à dresser aux Juifs des arcs de triomphe pour leur retour ». Et de conclure, après avoir estimé qu’un Juif ne pourra être considéré comme « vraiment Français », que, s’il a participé « au péril de sa vie » à la résistance, « le fait que Vichy a pris de telles mesures de limitation [dans leurs activités professionnelles] n’est pas une mesure suffisante pour prendre le contre-pied de ces dispositions ».

 

MitterandFrédéric Mitterrand, Les aigles foudroyés et Mémoires d’exil (Tempus)

Diffusés à la télévision dans les années 1990, Les aigles foudroyés et Mémoires d’exil sont ensuite devenus des livres, sans la voix très singulière de leur réalisateur mais avec son sens du récit historique. Dans le premier, Frédéric Mitterrand étudie le destin des trois grandes dynasties européennes – les Habsbourg, les Hohenzollern et les Romanov –, toutes liées à la reine Victoria, au cours des décennies précédant la Première Guerre mondiale, conflit qu’ils ont contribué à déclencher et qui a causé leur perte. Ce faisant, il retrace l’histoire de notre continent par le biais de ses dirigeants, plus ou moins glorieux, plus ou moins respectables. Dans le second volume, il s’intéresse à « l’après » : comment ces dirigeants et leurs familles ont-ils survécu à cette déflagration mondiale ? Où et comment ont grandi les enfants ? Dans quel état d’esprit ? Et comment ont-ils été traités dans leurs exils forcés ? Le style emporte le lecteur dans des envolées parfois emphatiques mais jamais relâchées sur le plan littéraire.

 

DepardonRaymond Depardon, La solitude heureuse du voyageur précédé de Notes (Points)

Publié il y a près de vingt ans, La solitude heureuse du voyageur rassemble un peu plus de cinquante photos prises par Raymond Depardon au cours de ses voyages dans les années 1980. On y trouve pêle-mêle des déserts égyptien, mauritanien ou djiboutien, des immeubles de New York ou de Beyrouth, des paysages de Roumanie ou de RDA, et quelques présences humaines, en Bolivie, en Éthiopie ou au Niger. Ce cahier photos est précédé de Notes, « premier livre fondateur » de l’artiste publié en 1979, quelques mois après son entrée à l’agence Magnum comme associé (il a 36 ans). Ce « journal » réalisé durant son périple en Afghanistan, à Beyrouth et au Pakistan, qu’il évoque dans son introduction, a paru à l’époque chez un petit éditeur. Il s’agit de notes et de photos noir et blanc prises principalement durant son reportage dans les montagnes afghanes, auprès des rebelles qui combattent le régime de Kaboul aidé par les Russes. Il a comme guide un jeune étudiant ayant appris sa langue au lycée français, du nom de Massoud, le futur lion de Panshir. Figure aussi dans ce volume, une longue interview donnée par Depardon à l’émission Radio-Photo, sur France Culture, en février et mars 1980.

 

MaeghtYoyo Maeght, La saga Maeght (Points)

Yoyo Maeght dénonce avec force la façon dont est aujourd’hui gérée la célèbre Fondation créée par ses grands-parents. Ce sont son père, sa tante et sa sœur aînée qui, au sein du conseil d’administration, sont censés veiller au respect de l’esprit originel. Mais « le compte n’y est plus », déplore-t-elle. Après avoir fréquenté pendant un demi-siècle ce lieu enchanteur, elle s’en est fait éjecter manu militari en 2010 par des gendarmes l’accusant de vol. Cet ouvrage n’est pas seulement le constat de ce dévoiement, avant tout pour des raisons d’argent. Il est d’abord un hommage rendu à ses grands-parents, par la troisième fille de Paulette et Adrien Maeght que sa famille (et Jacques Prévert) avait trouvé « humoristique » de faire passer pour une enfant trouvée sur les marches d’une église. Yoyo, en réalité Françoise, raconte comment Aimé, un orphelin d’Hazebrouck hébergé dans les Cévennes pendant la Première Guerre mondiale, donnera son nom, avec sa femme Guiguite, à l’une des plus prestigieuses entreprises artistiques privées du 20e siècle. « Il aurait aimé être artiste, mais il s’est rendu compte qu’il ne serait pas le meilleur », explique celle qui a passé plus temps auprès de lui que de ses parents qui négligeaient leurs enfants. Lithographe, imprimeur et éditeur sur la côte d’Azur pendant la Deuxième Guerre mondiale, Aimé se met à fréquenter les peintres qui se sont retirés dans la région – Matisse, Bonnard, Picabia  –, puis à vendre les œuvres de certains d’entre eux. Après-guerre, il déménage sa galerie à Paris. Suivront Zurich, Barcelone et, en 1964, l’inauguration de la fondation à Saint-Paul-de-Vence, une commune de l’arrière-pays niçois. Cette aventure artistique est aussi une douloureuse histoire père/fils. Jeune homme, Adrien ne s’intéresse pas à l’art, préférant l’automobile et une vie oisive. Mais à la mort de son jeune frère, il devient le successeur désigné d’Aimé. Les rapports entre eux seront toujours conflictuels, le fils allant jusqu’à ouvrir Rive gauche, une galerie montrant les œuvres sur papiers des mêmes artistes que ceux exposés par son père.

 

DeCortanzeGérard de Cortanze, Les amants de Coyoacan (Livre de Poche)

Les amants du titre, ce sont Frida Kahlo et Trotsky. En 1937, le couple que la jeune peintre forme, depuis neuf ans, avec le très infidèle Diego Rivera n’est pas au beau fixe et, de retour de New York, elle pense au suicide. Mais l’installation chez eux, à la Casa Azul, le 11 janvier, du fondateur de l’Armée Rouge expulsé d’URSS et de sa femme, Natalia Sedova, à qui le Mexique a accordé l’asile politique, va la faire renaître. L’artiste de vingt-neuf ans va vivre avec son aîné de près de trente ans une passion amoureuse qui durera plusieurs mois. Elle lui dédicacera un Autoportrait qu’elle lui offrira à son anniversaire en novembre. Leur histoire est des plus romanesques : billets enfiévrés glissés dans des livres, rendez-vous secrets… Les deux amants n’hésitent pas à faire le mur  ou à prendre la fuite. C’est à cette période qu’André Breton et son épouse rendent visite aux deux couples. Cette histoire, Gérard de Cortanze la raconte avec la fougue enthousiaste dont il fait preuve dans ses nombreux livres, des Vice-rois aux Zazous, en passant par Banditi ou Miroirs.

 

 

MnouchkineAriane Mnouchkine, L’art du présent (Babel)

Ce recueil rassemble dix-huit rencontres, seize entre 2002 et 2004, deux en 2015, d’Ariane Mnouchkine avec la critique dramatique de Télérama, Fabienne Pascaud. La femme de théâtre parle de son enfance (son père est un grand producteur de cinéma), de son « coup de foudre » pour le théâtre lors de l’année passée à l’université d’Oxford, après le bac, d’un voyage fondateur au Japon quelques années plus tard. Elle raconte la fondation du Théâtre du Soleil en 1964, « pour partir à l’aventure, traverser des océans inconnus », commente leur manière de travailler, évoque les trois grandes crises survenues après trois triomphes ou développe son rapport à Shakespeare et son travail avec Hélène Cixous. Et bien sûr, elle revient sur les spectacles qui ont émaillé l’histoire de la troupe : La Cuisine, Songe d’une nuit d’été, 1789, 1793, L’Âge d’or, Le Dernier Caravansérail (un spectacle sur le réfugiés – en 2002 !). Il est aussi question de ses films, et d’abord de Molière présenté à Cannes en 1979 où il est éreinté par la critique mais acclamé par le public. Elle aborde encore sa « dimension militante », lorsqu’elle dénonce les dérives de l’intégrisme musulman dans Tartuffe en 1995 ou fait une grève de la faim pour la Bosnie en 1995 avec quatre autres « pauvres théâtreux ». Un livre magnifique qui apporte un éclairage indispensable sur une artiste qui a marqué le théâtre en France ces cinquante dernières années.

 

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