Lectures pour l'été 2017 - Poches - Polars

 

ShohamLiad Shoham, Oranges amères (10/18)

Après deux enquêtes conduites dans la bouillonnante Tel-Aviv où il vit, Liad Shoham déménage son action et ses personnages de quelques kilomètres à l’intérieur des terres, à Petah Tikva. Dans cette petite ville, il est réputé ne rien se passer - les magouilles du maire sont d’ailleurs étouffées afin de ne pas troubler cette quiétude. Sauf lorsqu’un journaliste d’investigation ne donne subitement plus signe de vie, ce qui inquiète sa compagne. L’inspectrice Anat Nahmias, qui s’ennuie ferme, entend investiguer, contre l’avis de sa hiérarchie qui pense à une fuite. Elle est confortée dans ses intentions par un ami du disparu, par ailleurs publicitaire spécialisé dans les campagnes électorales. À deux, ils vont mettre les pieds dans un marigot particulièrement nauséabond, à leurs risques et périls. À travers cette immersion dans une réalité sociologique israélienne que l’on ne connaît pas forcément, l’auteur, avocat dans son autre vie, met au jour la corruption qui gangrène le monde politique local. Des pratiques que l’on retrouve, hélas, sous toutes les latitudes.

Traduit de l’hébreu par Laurent Cohen

 

MillerJax Miller, Les infâmes (J’ai Lu)

« Je m’appelle Freedom. » Ce sont les premiers mots de Freedom Oliver lorsqu’elle prend la parole pour raconter son histoire. Cette femme alcoolique et suicidaire a peur. Elle qui travaille depuis dix-huit ans comme barmaid dans l’Oregon apprend en effet que son beau-frère, condamné pour l’assassinat de son mari dont elle a été un temps accusée, vient d’être libéré. Il pourrait être tenté de la retrouver pour se venger, secondé par sa famille complètement tordue, convaincue de sa culpabilité. Lorsqu’elle apprend aussi que sa fille, dont elle a été séparée (avec son fils) et qui a été élevée par un pasteur traditionnaliste au sein des Adventistes du 3e jour, a été enlevée, elle décide de prendre la route et d’affronter son passé. Et son destin. Dans son cheminement, elle est aidée par un policier. Au cours de ce road trip vers un avenir incertain, nous suivons alternativement différents personnages, dont certains (sheriff, avocat, etc.) collent à l’image que l’on se fait de l’Amérique profonde. Plus proche du roman noir que du polar strict, d’une écriture brute, ce premier roman d’une New-yorkaise vivant en Irlande est poisseux à souhait, comme si rien ne méritait vraiment d’être sauvé.

Traduit de l’anglais (américain) par Claire-Marie Clévy

 

delArbolVíctor del Árbol, Toutes les vagues de l’océan (Babel Noir)

Né à Barcelone en 1968, Víctor del Árbol, dont c’est le troisième roman traduit en français après La tristesse du Samouraï et La maison des chagrins, brasse, à travers une intrigue extrêmement prenante, quelques moments tragiques du 20e siècle : la guerre civile espagnole et les camps français où furent ensuite parqués les réfugiés républicains, l’URSS des années 1930 et le goulag stalinien. Le personnage principal, un avocat barcelonais quadragénaire et un peu falot, Gonzalo Gil, apprend que sa sœur, dont il n’avait plus de nouvelles depuis longtemps, s’est suicidée après avoir torturé un truand russe qu’elle soupçonnait d’être l’assassin de son fils. Est-ce la vérité ? En plein doute, il décide d’aller voir de lui-même, faisant remonter le passé à la surface. Un passé d’où émerge la figure de son le père, Élias, jeune communiste idéaliste arrivé à Moscou en 1933. Accusé de trotskisme avec quelques camarades, il est déporté en Sibérie sur « l’île aux cannibales » où un prisonnier de droit commun fait régner la terreur. Revenu vivre en Espagne, il a disparu en 1967. Cette histoire dans l’Histoire, passionnante, terrifiante aussi, apporte au roman une densité et une force dramatique rares.

Traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

 

 

TakanoKazuaki Takano, Treize marches (10/18)

Publié au Japon en 2001, Treize marches, premier roman d’un scénariste tokyoïte né en 1964, a été vendu à 400 000 exemplaires. Un condamné à la peine capitale, amnésique lors du procès et qui attend depuis sept ans dans le couloir de la mort, voit sa mémoire revenir lorsqu’il entend hurler un prisonnier qui va être exécuté. Un ancien détenu accusé d’homicide involontaire, qui découvre que ses parents doivent payer une importante somme d’argent pour son crime, accepte, pour se racheter, d’aider son ancien gardien, qui s’occupe de la réinsertion des prisonniers, à prouver l’innocence du condamné à mort. Le titre se rapporte au nombre d’échelons (et donc de signatures) nécessaires avant chaque exécution. Celle-ci peut donc survenir n’importe quand. Les deux hommes se lancent dès lors dans une course contre la montre, sans savoir s’ils ne font pas tout cela pour rien.

Traduit de japonais par Jean-Baptiste Flamin.

 

GilbersHarald Gilbers, Les Fils d’Odin (10/18)

Dans son premier roman, Germania, Harald Gilbers montre une ville de Berlin pilonnée par les bombes alliées l’été 1944. Son héros, Richard Oppenheimer, un ex-commissaire de police révoqué parce que Juif mais non déporté grâce à son épouse aryenne, enquêtait sur les meurtres de jeune femmes retrouvées mutilées devant des monuments aux morts. Nous le retrouvons quelques mois plus tard, début 1945, vivant dans la crainte de faire partie des derniers déportés. Il se cache, aidé par une amie bientôt accusée d’avoir tué son ex-mari membre des SS impliqués dans des expérimentations humaines menées à Auschwitz. Il revêt alors ses habits d’enquêteur et, pour tenter de la sauver, se lance à la recherche du vrai coupable. Au fil de sa quête, il tombe sur une secte qui entend, fidèle aux nazis, assurer la suprématie de la race aryenne. Bien sûr, cette traque est haletante. Mais Les Fils d’Odin, dont le premier chapitre se passe à Auschwitz une semaine avant sa libération, est d’abord une exceptionnelle photographie d’une ville, et d’une nation, au bord de l’abîme, au point de chavirer. Chacun tente de sauver sa peau comme il peut, coûte que coûte, surtout si l’ardoise est lourde. Quant à la population, pressée de tournée la page, elle rechigne à suivre les ordres des nazis zélés, sans pour autant être rassurée sur son avenir immédiat. Cette plongée dans le Berlin quotidien est sidérante, et très peu connue.

Traduit de l’allemand par Joël Falcoz.

 

Michel Paquot
Juin 2017

crayongris2Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant

 

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