Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

ClaudelPhilippe Claudel, L’arbre du pays Toraja (Le Livre de Poche)

Les Toraja vivent sur l’île de Sulawesi, en Indonésie. Leurs défunts sont enterrés, lors de somptueuses funérailles, dans des niches creusées à même les falaises sacrées. Sauf les bébés, qui sont placés, emmaillotés d’un linceul, dans des cavités d’un arbre majestueux qui, ressoudant progressivement son écorce, les garde à jamais dans son tronc. Ces morts que nous cachons en les brûlant ou les enterrant, les Toraja les offrent ainsi à la nature. C’est avec cette image que s’ouvre ce roman très différent des précédents de son auteur par ses éléments autobiographiques. Le narrateur est en effet un cinéaste qui, à plus de 50 ans, regarde vers son passé – les films tournés, son divorce – pour tenter de mieux préparer les années lui restant à vivre. Cette perception du temps passé est née de la mort de son producteur et meilleur ami dont l’absence ne cesse de le hanter. En fait, dans la réalité, Jean-Marc Roberts, directeur de chez Stock et donc éditeur de Claudel. Ce livre sur le deuil, mais aussi sur l’amour et l’amitié, qui va vers la lumière et la renaissance, l’écrivain lorrain l’a rempli de ses réflexions sur ce qui reste des êtres qui nous quittent, sur la prégnance des souvenirs, sur comment se reconstruire. Ainsi que sur son rapport au corps, sur l’image du corps vieillissant. Et encore, dans le registre artistique, sur les potentialités du cinéma et de la littérature, sur ce dont les romans sont faits. À travers cette histoire étalée sur trois ans dans une chronologie chahutée, où l’on croise Milan Kundera et Michel Piccoli, l’auteur du Rapport de Brodeck s’inscrit également dans son temps. Un temps principalement marqué par la tragédie des migrants qui conduit le narrateur à s’interroger sur le pouvoir manipulateur des images encore décuplé par Facebook ou YouTube

 

FournierJean-Louis Fournier, Ma mère du nord (Le Livre de Poche)

En 1999, dans Il n’a jamais tué personne mon papa, Jean-Louis Fournier a fait le portrait de son père médecin mort à 43 ans. Conforté par le succès de ce livre, le réalisateur télé de La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède de Pierre Desproges ou de la série d’animation La Noiraude, a poursuivi sur ce chemin autobiographique relu avec un humour à la fois espiègle et noir. Il a ainsi parlé de ses années de collégien (J’irai pas en enfer), de ses deux fils handicapés (Où on va papa ?, prix Femina 2008), de son année passée dans la ferme picarde de ses futurs beaux-parents à la fin de ses études de cinéma (Poète et paysan), de sa vie avec sa seconde épouse décédée (Veuf) et de l’éloignement/dévoiement de sa fille (Servante du Seigneur). « C’était une façon de comprendre un peu ce qui m’était arrivé. Je suis devenu le greffier de ma famille. Les livres, c’est la meilleure façon de faire revivre ce qui n’existe plus », explique celui qui n’a pour autant jamais cessé de publier des textes humoristiques : Mouchons les morveux, Satané Dieu !, À ma dernière cigarette, Ca m’agace ou Trop !

De ces déambulations autobiographiques, il manquait pourtant une figure majeure, sa mère, femme réservée et discrète, « un peu distante » et qui, veuve à 38 ans, ne s’est jamais remariée. Titulaire d’une licence de lettres, elle a préféré épouser un médecin « rassurant, séduisant, jovial, noceur », plutôt qu’un étudiant en lettres sérieux et ennuyeux qui lui faisait la cour. Mais celui qui aurait pu être « un parfait médecin sans frontières » est devenu un notable de province adoré de ses patients, qu’il ne faisait pas toujours payer, alcoolique et dépensier. Le couple s’est installé à Arras, dans la maison de bonne-maman, une femme austère et bigote qui vivait avec sa sœur nettement plus accorte. Et la jeune femme, qui adorait Verlaine et jouait « correctement » du piano, a dû abandonner son poste de professeur de français parce qu’ «une femme de médecin ne travaille pas ». C’est elle, avec le peu d’argent dont elle disposait, qui a élevé seule leurs enfants. Sans déborder d’affection, gardant sa sensibilité « à l’intérieur ». Dans Ma mère du Nord, Jean-Louis Fournier décrit aussi quelques photos d’elle qu’il a retrouvées. Dont une les pieds dans l’eau où, constate-t-il, elle ressemble à la reine Astrid. Elle est morte en 2003, après avoir été une formidable grand-mère, comme en témoignent ses petits-enfants cités au fil du livre.

 

puertolasRomain Puertolas, Revive l’empereur ! (Livre de Poche)

Aux spécialistes de Napoléon qui se chamaillent pour savoir si son corps repose bien aux Invalides, Romain Puertolas répond par la négative. La preuve : il a été récemment repêché congelé dans un cercueil, avec son cheval, par un chalutier norvégien. Arrivé à Paris juste après l’attentat meurtrier contre L’Hebdo des Charlots, buvant à satiété du « champagne noir » (Coca Light) et logeant dans un Formule 1(même s’il roule en Ferrari), l’ex-Empereur retrouve sa triple descendance en piteux état et rencontre Hollande, Sarkozy… et Serge Lama qui l’authentifie. Mais surtout, il recrute une Nouvelle Grande Armée multiculturelle (des danseuses de french cancan, un musulman en djellaba épinard, un balayeur d’origine ivoirienne…) pour aller combattre les « fous d’Allah ». Non pour les tuer eux, mais leurs idées, en déviant leur folie vers « quelque chose de bon ». La singularité du troisième roman de l’auteur de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire IKEA et de La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la Tour Eiffel est de donner à sa fantaisie débridée un poids tragique en plongeant ses personnages dans notre monde actuel.

 

TrevidicMarc Trévidic, Ahlam (Le Livre de Poche)

De 2005 à 2015, Marc Trévidic a été le plus médiatique juge antiterroriste français, enquêtant sur des dossiers chauds comme les assassinats du président rwandais Habyarimana (déclencheur du génocide) et des moines de Tibhirine. Il est actuellement chargé des affaires familiales au tribunal de Lille. Ces dernières années, il a écrit plusieurs livres : Au cœur de l’antiterrorisme, Terroristes : les 7 piliers de la déraison et Qui a peur du petit méchant juge (une histoire du juge d’instruction sous forme de conte). Son premier roman est ancré dans une réalité solidement documentée. À l’aube du deuxième millénaire, Paul Arezzo, un peintre français de 26 ans de renommée mondiale, pose ses valises dans l’archipel tunisien des Kerkennah, face à Sfax. Pour tenter de « revivre » après le départ de la femme qu’il aimait et la perte du désir de créer. Sur une plage, il rencontre un pêcheur, Farhat, qui l’emmène dans sa famille. À son fils, Issam, il apprend à dessiner et à Ahlam, sa fille, à jouer du piano, créant de la « musique-peinture », le premier peignant la musique de la seconde. Mais, en grandissant, ils vont prendre des voies divergentes, annihilant l’espoir de se produire en France. Au contact d’un copain de classe membre d’une famille salafiste, Issam se radicalise. Et, lors de la révolution de janvier 2011, Ahlam est dans la rue pour réclamer davantage de liberté.

 

BichetYves Bichet, L’été contraire (Folio)

Clémence, infirmière dans une résidence pour séniors en Ardèche, est licenciée après avoir emmené quelques pensionnaires au casino. Mécontents, ces fautifs - Gigi, « replète » un peu simplette, Clovis, ex-officier d’active, Vignaud, ancien banquier en fauteuil roulant – se font alors la malle avec la jeune femme à bord d’un pick-up déglingué conduit par Douss, un agent d’entretien noir. Mais pour aller où ? La canicule qui sévit va leur fournir un but humanitaire : ravitailler en eau les maisons de retraite pour éviter la catastrophe de l’été 2003. Les fuyards se transforment alors en hors-la-loi, cambriolant les grandes surfaces qui, découvrent-ils sidérés, organisent la pénurie pour faire monter les prix en dissimulant leurs stocks de bouteilles. Ils font la une des journaux et deviennent des héros aux yeux d’une population de plus en plus inquiète face à la chaleur persistante. Ce roman plein d’humour, mené avec en enthousiasme communicatif, est chargé d’une humanité extrêmement positive. Yves Bichet a trouvé le ton juste pour raconter cette cavale qui prouve que, jusqu’à la fin, la vie peut emprunter des chemins imprévus.

 

RufinJean-Christophe Rufin, Check Point (Folio)

Sur les routes escarpées d’un pays en guerre, circulent deux camions affrétés par une ONG lyonnaise, La tête d’or. À leurs bords, Maud, une jeune fille idéaliste, et quatre hommes : un membre de l’association, deux anciens casques bleus et un homme plus âgé à la fonction mal définie. Leur but est une région du centre de la Bosnie où des centaines de civils d’origines mêlées sont enfermés dans les anciens fours d’une mine de charbon. Mais la route est longue, fatigante, parfois difficilement praticable, et les passages des nombreux check-points, tenus tantôt par des militaires appartenant à l’une ou l’autre armée, tantôt par des paysans sur la défensive, ne sont jamais sans risques. Et ils ne font qu’accroître les tensions au sein du convoi où l’ambiance est déjà pesante, lourde de non-dits, chacun se méfiant de l’autre. Ce huis-clos à l’air libre et sous haute-tension renvoie son auteur, Jean-Christophe Rufin, à une époque ancienne de sa vie, lorsqu’en 1993-94, il s’est rendu à plusieurs reprises dans ce pays en guerre. L’ancien médecin humanitaire signe ainsi l’un de ses meilleurs romans, plus proche du Parfum d’Adam ou de Kabila que de L’Abyssin ou du Grand Cœur.

 

SansalBoualem Sansal, 2084 : la fin du monde (Folio)

Âgé de 67 ans, l’Algérien Boualem Sansal est l’un des grands auteurs francophones actuels. Malgré la censure dont il est la victime et les menaces qui pèsent sur lui, il continue à habiter son pays dont il ne cesse de dénoncer dans ses livres les failles, aberrations et autres dérives. Révélé en 1999 avec Le Serment des barbares, implacable peinture de l’Algérie depuis son indépendance, il a persisté dans cette voie avec L’Enfant fou de l’arbre creux, Le Village de l’Allemand ou Rue Darwin. Son nouveau roman s’ouvre par une phrase d’une douloureuse actualité : « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité. » Dans un futur indéterminé, l’Abistan est une théocratie vouant un culte à Yölah et gouvernée par Abi, son Délégué. Si la date fondatrice de cet État totalitaire qui ressemble à bien des dictatures d’hier et d’aujourd’hui, surtout islamistes ou communistes, est 2084, personne ne sait à quoi elle se rapporte. Ati, de retour chez lui après deux ans d’absence, voit vaciller sa foi en un « rêve de liberté ». Avec un collègue, il part à la recherche des Renégats qui vivent clandestinement dans un ghetto. Une Grande Guerre sainte contre les propagandistes de la Grande Mécréance, une Nouvelle Ère niant l’Histoire, un Système (ou Appareil) épaulé par les Civiques et par la Sainte-Extermination imposant l’autocritique, etc. : c’est un monde en majuscules, où l’individu doit se soumettre sans se poser de question sous peine d’être condamné à mort, que peint Sansal dans un style proche de la fable, ce qui lui donne une ampleur universelle tout en atténuant sa dimension dramatique.

 

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