Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

KhadraYasmina Khadra, La dernière nuit du Raïs (Pocket)

À quoi pensait Kadhafi dans la nuit du 19 au 20 octobre 2011 qui a précédé sa mort ? Yasmina Khadra y répond par la fiction romanesque en se glissant dans la tête du Raïs caché à Syrte. Sous les bombardements de l’OTAN de plus en plus rapprochés, en compagnie de ses derniers fidèles avec lesquels il converse longuement, le « Guide » se souvient. De son enfance chez les Bédouins et surtout des humiliations dont il a été victime, d’abord comme jeune officier éconduit par le père de celle qu’il aimait, puis comme lieutenant dont la promotion a été bloquée pour cause d’antimonarchisme. De ces offenses, cet homme arrogant sur qui couraient des rumeurs de bâtardise s’est vengé en prenant le pouvoir à 27 ans. Il parle aussi des femmes, ces « proies » qu’il a, dit-il, possédées par centaines. Celui qui se considère comme « la providence incarnée » refuse de croire qu’ait pu le trahir un peuple qu’il prétend avoir « aimé » et « protégé ». Comme il refuse de voir la réalité en face et son inéluctable déchéance. Tout en tentant de comprendre pourquoi, depuis ses années de lycée, il reste fasciné par Van Gogh. Peut-être parce qu’il n’écoute que d’une oreille, celle qui l’arrange

 

SlocombeRomain Slocombe, Avis à mon exécuteur (Pocket)

Romain Slocombe aime les histoires à deux niveaux afin de brouiller la frontière entre réalité et fiction. Première station avant l’abattoir (Points), passionnante auscultation du régime soviétique naissant à travers l’assassinat de l’un de ses agents secrets lors d’une conférence internationale à Gènes en 1922, était un manuscrit confié au narrateur en vue de sa publication. Avis à mon exécuteur est présenté comme un texte trouvé dans une poubelle par un libraire de Lausanne. Son héros est Victor Krebnitsky (de son vrai nom Walter Krivitsky), entièrement dévoué à la cause de Staline. Progressivement, des doutes s’insinuent en lui quant à la validité de son combat et sur le « petit père des peuples » lui-même. Il refuse néanmoins de faire défection, persuadé que « l’URSS demeure le seul espoir des travailleurs du monde ». C’est l’assassinat de son ami d’enfance Ignace Reiss qui, après l’avoir mis en garde, avait publiquement démissionné, mais qu’il n’a pas réussi à protéger, qui l’amène à franchir le pas fin 1937. Il publie ensuite J’étais agent de Staline avant d’être retrouvé « suicidé » dans une chambre d’un hôtel de Washington en février 1941. Dans ce roman, on apprend différentes choses peu connues sur Staline : qu’il a volé le trésor de la banque d’Espagne, qu’il a été, dans sa jeunesse, un informateur de la police tsariste, qu’il a utilisé des officiers tsaristes réfugiés en France pour exécuter des communistes « déviants ». Ou qu’il aurait été la cible d’un complot ourdi par des officiers supérieurs de l’Armée rouge, qui ont ensuite été exécutés sans jugement.

 

MabanckouAlain Mabanckou, Petit piment (Points)

C’est dans sa ville natale en République Congo (Congo-Brazzaville), qu’il a recréée en 2013 dans Lumières de Pointe-Noire, qu’Alain Mabanckou situe Petit Piment. Son jeune narrateur, rencontré par l’écrivain lors de son retour au pays il y a quelques années, est élevé dans l’orphelinat de Loango, à une vingtaine de kilomètres de Pointe Noire. Le roman s’ouvre par l’annonce de la nouvelle direction socialiste prise par le pays, amenant l’ouverture du local du Mouvement national des pionniers de la révolution socialiste du Congo. S’ensuit une peinture à hauteur d’adolescents, donc extrêmement savoureuse, de la vie à l’orphelinat chamboulée par cette Révolution. Débarque, par exemple, un professeur blanc « non impérialiste », tandis que disparaît un autre pourtant tant aimé, un prêtre pygmée zaïrois. Bientôt, le jeune Moïse s’enfuit à Pointe Noire dont le Grand Marché est occupé par différentes bandes. C’est là, vivant de rapines, qu’il devient Petit Piment. Chassés par une opération de police d’envergure, ces « moustiques » se réfugient sur la Côte Sauvage. Où le jeune garçon rencontre Maman Fiat 500 qui devient sa mère adoptive. Alain Mabanckou, qui enseigne depuis plus de dix ans la littérature francophone à l’UCLA (Université de Los Angeles) et a été récemment nommé professeur au Collège de France, s’il a peut-être perdu la truculence de ses premiers romans, Verre Cassé ou Mémoire de porc-épic, manie néanmoins, dans celui-ci, la langue avec une verve tout à fait réjouissante et touchante.

 

MessageVincent Message, Défaite des maîtres et possesseurs (Points)

Défaite des maîtres et des possesseurs est le troisième livre de Vincent Message après un roman paru en 2009, Les Veilleurs, et un essai, Romanciers pluralistes. Domestiqués, enfermés, élevés en batteries: dans un monde futuriste qui ressemble furieusement au nôtre, les êtres humains sont dominés par leurs nouveaux maîtres de la façon qu’ils asservissaient eux-mêmes les animaux. « C’est à chaque maître de décider quel degré d’éducation il a envie de donner à ses humains de compagnie », rappelle Malo, le narrateur, membre de cette caste dominante et qui, pour le ministère où il travaille, travaille sur une loi relative à la question de la fin de vie. Mais il est confronté à un problème qui pourrait bien remettre tout en cause: Iris, la jeune femme arrivée chez lui à 14-15 ans, sans savoir parler mais très douée pour le dessin et la peinture, et à laquelle il est fortement attaché, vient d’être amenée à l’hôpital après avoir été renversée par une voiture. Or elle n’a pas de papiers. Il lui faut dès lors, à tout prix, et le plus vite possible, lui en trouver. La qualité de ce roman est d’amener progressivement le lecteur à comprendre la singularité de l’univers dans lequel les personnages évoluent. Cette manière de poser ses pions petit à petit, sans trop en dire, est réussie, et le propos soulève bien des questions quant à nos comportements et manières de vivre actuels.

 

BaltassatJean-Daniel Baltassat, Le divan de Staline (Points)

La peur et le mensonge peuvent être intimement liés, le second apparaissant alors comme un fruit pourri de la première, mais aussi comme une chance de survie. De cela, le stalinisme en est la plus « belle » incarnation: ne reposant que sur la crainte – de l’arrestation, de la torture, de la déportation, de la mort –, ce système ne pouvait qu’engendrer le mensonge, jusque dans l’entourage le plus proche de son initiateur. C’est ce que montre remarquablement ce roman riche et troublant, porté par une écriture puissante. Le divan de Staline, récemment porté à l’écran par Fanny Ardent avec Depardieu dans le rôle du dictateur,est glaçant. Il raconte un bref séjour, fin 1950, de Iossif Vissarionovitch Djoughachvili à Borjomi, une ville d’eau géorgienne. Le Petit Père des Peuples va avoir 72 ans et il lui reste moins de trente mois à vivre. Il a réuni autour de lui sa maîtresse, Lidia Semionova, la seule à user avec lui d’une relative franchise, et le jeune peintre Danilov, qui ambitionne de réaliser une fresque géante dont il serait le centre. C’est un homme comme beaucoup d’autres, amateur de westerns et d’opéras, que dépeint Baltassat. L’humain sous le monstre.

En 2000, visitant le palais grand-ducal de Borjomi, Jean-Daniel Baltassat a découvert, dans le bureau de Staline, un divan semblable à celui de Freud. C’est cet objet inattendu qui, treize ans plus tard, est au centre de son roman. Le dictateur s’y étend en demandant à sa maîtresse de lui lire un extrait de L’interprétation des rêves de celui qu’il appelle le « charlatan » et dont il condamne le « charabia » et les « cochonneries juives ». À la fois par puritanisme – il refuse de parler de sexualité ou de désir, tout en ayant eu beaucoup de maîtresses – et parce que, très tôt, Trotski, son rival, pensait qu’il était intéressant d’étudier le freudisme pour comprendre comment les masses fonctionnaient, ainsi que la bourgeoisie. Ainsi installé, celui qui reste douloureusement marqué par le suicide de sa deuxième femme, Nadia, en vient, presque à son corps défendant, à raconter ses rêves et ses souvenirs. Il évoque notamment sa déportation sous le cercle arctique où il s’est senti abandonné par celui dont il avait fait son père de substitution, Lénine. Personnage que Baltassat n’épargne d’ailleurs pas, mais c’est une autre histoire.

 

GallayClaudie Gallay, Une part de ciel (J’ai Lu)

Un frère et deux sœurs, Philippe, Gaby et Carole, se retrouvent dans leur village natal de montagne peu avant Noël. Le premier, responsable du domaine, recherche la route jadis empruntée par Hannibal. La deuxième est femme de ménage dans un hôtel en élevant une fille qui n’est pas la sienne. Quant à la troisième, elle est revenue voir son père. Tous trois ont en effet reçu une boule à neige annonçant le retour de cet homme qu’ils ont toujours connu ailleurs. Carole, la narratrice, reprend ses marques dans ce monde immuable, figé dans la neige. Elle reconnaît «le bar à Francky», l’épicerie, le pont au-dessus de la rivière. Retrouve l’homme de la scierie qu’elle aurait pu aimer à l’époque. Et passe le temps en traduisant un ouvrage sur Christo ou en rendant visite à la Baronne et ses chiens. Tout en posant des questions sur l’incendie qui a détruit la maison familiale lorsqu’ils étaient enfants: laquelle des deux sœurs la mère a-t-elle pris dans ses bras? Beau roman d’ambiance, Une part de ciel possède un style lapidaire multipliant les courtes phrases et bribes de dialogues.

 

reverdyThomas B. Reverdy, Il était une ville (J’ai Lu)

Eugène, un ingénieur français « largué » par son entreprise à Detroit pour y superviser un projet automobile, se rend vite compte qu’il est sur une voie de garage : faute de moyens et de volonté interne, l’Intégral, ce nouveau prototype, ne verra jamais le jour. Il ne sait plus très bien ce qu’il fait dans cet ancien temple de l’industrie automobile qui a subi de plein fouet la crise économique de 2008 et dont le centre-ville, vidé de ses habitants, est devenu un no man’s land dévasté et dangereux. Tout comme la Zone, vaste friche industrielle où il a ses bureaux. Si des adolescents traînent dans les rues, c’est de désœuvrement. Ou pour mettre le feu à des maisons abandonnées, comme c’est devenu la coutume pendant « la nuit du Diable ». L’un d’eux, Charlie, est un garçon plutôt sage et studieux élevé par sa grand-mère depuis le départ de sa mère quand il était bébé. Mais qui, subitement, disparaît, comme des dizaines d’autres enfants de la métropole, ce qui tracasse le lieutenant Brown, le seul à véritablement s’en inquiéter.

À travers ces différents personnages qui cherchent encore tant bien que mal à donner du sens à leur vie, c’est le portrait de Detroit que fait Thomas B. Reverdy. Un portrait terrifiant tant son délabrement semble inexorable. Il était une ville n’est pourtant pas du tout un documentaire, c’est une vraie histoire, avec une enquête et des personnages forts. Même si ces tristes héros d’un quotidien désespérant sont chargés du poids d’une réalité sur laquelle ils n’ont aucune emprise.

 

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