Lectures pour l'été 2017 - Poches - Littérature française

OrsennaÉrik Orsenna, L’origine de nos amours (Le Livre de Poche)

Erik Orsenna et son père sont liés par deux coïncidences de dates. La même semaine de juin 1975, ils ont tous deux divorcé, l’un de sa première femme, l’autre de la mère de ses trois enfants. Et des années après, le vieux séducteur s’est volatilisé, le lendemain du remariage de son aîné, contraignant celui-ci à interrompre sa « lune de miel » au Pavillon Henri IV de Saint-Germain-en-Laye. Et entre ces deux moments, ces deux-là, qui s’étaient longtemps ignorés, papa Arnoult – vrai patronyme de l’écrivain - étant convaincu que son fils Éric (avec « c ») était du côté de sa mère, n’ont cessé de se retrouver, principalement sur leur île de Bréhat ou au bar versaillais La Flottille. « C’est extraordinaire combien la fragilité rend humain et intéressant, constate l’Académicien français devenu docteur honoris causa de l’ULg. La force est muette, c’est la fragilité qui parle. » Il a attendu la mort de son père, il y a trois ans, avant d’entamer ce livre – tout en en publiant entretemps deux autres, Mali, ô Mali et une biographie de Pasteur.

De cette complicité, le prix Goncourt pour L’exposition coloniale rend compte avec son espièglerie coutumière. Il en profite pour parler des lointaines origines cubaines de sa famille ou de la « malédiction familiale » qui fait rater aux hommes leurs relations amoureuses. Les Arnoult, depuis un lointain aïeul tailleur fasciné par les Cubaines qu’il croisait à Trinidad, sont en effet séduits par toutes les femmes, laissant voguer leur imagination. On croise également un grand-père préférant lire et manger que travailler et qui a prédit un avenir d’écrivain à l’enfant ravi à la perspective de gagner sa vie en racontant des histoires. Ce « besoin d’histoires » est d’ailleurs au centre de cet hommage paternel qui fait aussi, d’une certaine manière, l’éloge du mensonge. Surtout si ce mensonge peut « faire du bien » - Éric s’inventant par exemple une harmonieuse vie de couple pour ne pas désespérer son père.

 

SpaakIsabelle Spaak, Une allure folle (Le Livre de Poche)

En 1981, la mère d’Isabelle Spaak tue son mari qu’elle aime mais dont elle est séparée, avant de se donner la mort. Cette tragédie a servi de point de départ à Ça ne se fait pas, le premier livre, paru en 2004 et couronné par le Rossel, de l’orpheline belge devenue journaliste à Paris. Et cette scène referme l’espiègle Une allure folle qui voit la petite-fille de Paul-Henri Spaak partir sur les traces de sa famille maternelle. Mathilde, sa grand-mère fantasque et « futile », tombe enceinte d’un riche Italien marié et coureur qui n’envisage pas de l’épouser. Mais l’entretient largement, lui permettant de mener une existence dorée parmi les petits « de, du et van », dans un hôtel de maître à Bruxelles ou une villa à Rochefort, en villégiature à Cannes ou lors de luxueuses croisières. Il adopte officiellement leur fille, Anny, qui deviendra une jeune femme également libre. Et qui, après dix ans de mariage, sans souci du qu’en-dira-t-on, n’hésitera pas à quitter son mari et leurs trois enfants pour épouser son amant dont elle aura trois autres enfants, dont l’auteure. Elle fut honorée à titre posthume par l’État hébreu pour avoir caché des enfants juifs pendant la guerre.

 

MaeghtSarah Maeght, C’est où le nord (Le Livre de Poche)

Ella, la narratrice de C’est où, le nord?, est prof de français dans un collège à Paris. Son copain, au chômage, la quitte pour retourner vivre à Dunkerque, leur ville natale où il a trouvé du boulot. Plutôt que de le suivre, la délaissée préfère rester seule dans son petit appartement avec Klaus, son poisson rouge. Entre un cours sur Le Petit Prince, les plaintes de ses collègues et un retour dans sa famille, où elle retrouve sa sœur stagiaire dans un zoo alors qu’elle déteste voir des animaux enfermés, elle sort avec son amie Lou, une comédienne végétarienne. Ce quotidien somme toute banal est perturbé par les santons estropiés qui lui sont adressés anonymement au collège et par le suicide d’un de ses collègues. Le tout est encore pimenté par sa rencontre avec un garçon homosexuel qui lui crée un profil Facebook et par un séjour à Budapest où elle retrouve sa mère et fait la connaissance d’une photographe qui l’amène à s’interroger sur elle-même. Préfacé par Katherine Pancol, ce premier roman da Sarah Maeght est la chronique douce-amère, où la gravité s’estompe sous l’humour, d’une jeune femme qui peine à trouver sa place tant dans sa vie professionnelle que sociale et amoureuse

 

BlasDeRoblèsJean-Marie Blas de Roblès, L’Ile du Point Némo (Points)

En 2008, Jean-Marie Blas de Roblès a loupé de peu le Goncourt avec Là où les tigres sont chez eux, finalement couronné par les prix FNAC et Médicis. On retrouve, dans son nouvel opus, le même goût démesuré pour l’aventure et le grand large, les personnages multiples et les intrigues à tiroirs. L’île du Point Némo s’ouvre sur Alexandre le Grand qui, à la tête des Macédoniens, s’apprête à affronter les Perses. Cette scène est en réalité un rêve fait par Matias Canterel perdu dans les vapeurs de l’opium et amateur de soldats de plomb. Flanqué de quelques comparses, dont John Shylock Holmes, le détective engagé pour retrouver la pierre précieuse, et son majordome, ce richissime dandy part à la recherche d’un gros diamant volé en Écosse. Cette trame est sans cesse interrompue par des digressions – en sont-elles vraiment ? – mettant notamment en scène un certain Monsieur Wang qui a transformé une fabrique de cigares périgourdine, en faillite, en une usine d’assemblage de liseuses numériques. Ou l’ancien patron de cette fabrique qui lit à voix haute, pour les cigarières, des trépidantes aventures qui emportent nos héros à travers le globe. Le tout conté avec un plaisir et une fougue communicatifs, multipliant rebondissements et mises en abîme dans une écriture enjouée et pleine d’humour.

 

VielTanguy Viel, La disparition de Jim Sullivan (Minuit Double)

Pour écrire un bon roman américain, il faut prendre comme héros un (ex-)prof d’université (en littérature), la cinquantaine et divorcé. Il doit avoir une vie sentimentale compliquée (il est amoureux d’une fille plus jeune, idéalement un peu paumée, mettons une serveuse) et sa femme s’est remise en couple (avec un ex-collègue, c’est parfait). Il boit trop (depuis le Vietnam forcément) et est vaguement dépressif (il a d’ailleurs perdu son emploi). Il conduit une vieille Dodge et, s’il est urbain, il habitait une belle maison avec jardin et loge désormais dans un motel. Pour le style, il faut multiplier les détails sans intérêt mais qui confèrent son authenticité au récit: la saleté de la douche, une araignée sur un mur, le bar ceci, la route cela. C’est sur ces poncifs que le très Français Tanguy Viel a construit son jubilatoire La Disparition de Jim Sullivan en se mettant lui-même en scène comme auteur (ce qui n’a plus rien d’américain). Le personnage qui donne son nom au roman est un chanteur mystérieusement disparu en 1975 dans le désert du Nouveau Mexique (on n’a jamais retrouvé son corps) et dont l’album le plus connu s’appelle UFO (OVNI en anglais). Simple coïncidence?

 

DelermPhilippe Delerm, Les Eaux troubles du mojito (Points)

Depuis le succès de La première gorgée de bière il y a près de vingt ans, l’écrivain normand revient de loin en loin à ce type de courts textes qui décortiquent un détail minuscule, un objet quotidien, une phrase commune pour atteindre l’universel. Sans n’avoir jamais cessé d’écrire des romans. Ce recueil compte parmi ses plus belles réussites. D’un moment vécu (un pique-nique sur une aire d’autoroute, une soirée entre amis, une averse dont on se protège sous un auvent, l’aube dans une station estivale, l’insouciance des vacances, le besoin de se prendre dans les bras), d’une chose vue (les lèvres d’un enfant qui bougent « à peine » lorsqu’il lit son livre, une famille sur la plage jusqu’à la nuit, les cadenas sur le Pont des Arts), d’un souvenir (Assurancetourix bâillonné lors du banquet final, la première page de La Marque Jaune, un vieux journal Tintin), sa plume d’une constance justesse, d’une infinie subtilité, tire une sensation, un ressenti qui sont aussi les nôtres, dans lesquels immanquablement on se reconnaît. Avec un plaisir toujours aussi vif.

 

JaenadaPhilippe Jaenada, La petite femelle (Points)

Le 17 mars 1951, Pauline Dubuisson a-t-elle intentionnellement tué Félix Bailly ou était-ce un accident ? Deux ans et demi plus tard, au terme d’un procès largement médiatisé, celle que la presse et le public ont rebaptisé la « hyène » est condamnée à mort. Après avoir vu sa peine commuée en prison à vie, elle sera libérée en 1960. Or, pour Philippe Jaenada, qui a refait minutieusement l’enquête, il n’y a pas préméditation, elle voulait en réalité se suicider. Et c’est en tentant de l’en empêcher que l’étudiant en médecine, qui s’apprêtait à se marier, Pauline ayant refusé de l’épouser, s’est pris une balle dans le ventre. Pour preuve, la jeune femme a ensuite voulu mettre fin à ses jours en s’empoisonnant au gaz et c’est de justesse qu’elle a été sauvée. En 1963, à Essaouira, la cité balnéaire marocaine où elle ira travailler comme docteur, sans avoir terminé ses études de médecine, elle arrivera à ses fins, rejetée par l’homme qu’elle aimait. La vie de cette native de Malo-les-bains, commune limitrophe de Dunkerque fondée par son arrière-grand-oncle, n’est pas banale. À 14 ans, elle devient la maîtresse d’un soldat allemand puis du directeur de l’hôpital, plus de trois fois son âge. À la Libération, elle est peut-être tondue – cela n’a jamais été prouvé –, mais certainement pas violée, il n’en est d’ailleurs jamais question pendant son procès. Elle suit ensuite des études de médecine à Lyon, puis à Lille. Elle a quelques amants – dont l’un de ses professeurs.

Pour retracer ce destin, Philippe Jaenada a passé un an plongé dans des dossiers, dans la presse de l’époque ou dans les divers livres qui en ont parlé. Avec toujours un œil sur deux films. La Vérité de Clouzot, même si le réalisateur transforme la biographie de son héroïne incarnée par Brigitte Bardot et travestit la réalité. Et En cas de malheur, roman de Simenon écrit deux ans après le procès et porté à l’écran par Claude Autant-Lara, l’histoire d’une jeune fille volage de nouveau interprétée par  B.B. Qui a cette réplique : « Je suis une petite femelle, il faut me laisser faire ce que j’ai envie. ». L’auteur de La Grande à bouche molle, Sulak et de La femme et l’Ours multiplie les parenthèses et digressions, n’hésitant pas à donner son sentiment, à raconter son enquête, à mentionner des événements survenant en cours d’écriture. Ou à évoquer certains épisodes de sa propre vie, telle la réception du Prix de Flore en 1997 pour son premier roman, Le Chameau sauvage (J’ai lu).

 

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