C’est avec autant de plaisir que d’intérêt que j’ai dévoré La vie est faite de ces toutes petites choses, roman que Christine Montalbetti a fait paraître lors de la dernière rentrée littéraire, à l’automne 2016, et que je vous conseille de lire cet été. J’ai déjà parlé de cette romancière dans la présente chronique estivale, millésime 2015 : j’y avais d’abord insisté sur l’élégance, la beauté sans pareille, la magnificence de l’écriture de Montalbetti. J’avais aussi évoqué la finesse de son humour. Puis j’avais expliqué que le roman paru cette année-là, Plus rien que les vagues et le vent (quel beau titre déjà !), marquait un tournant dans son œuvre : on y assistait à un fastueux déploiement romanesque sous la forme d’une démultiplication d’intrigues existentielles.

Or, au lieu d’approfondir cette deuxième manière, à peine entamée, l’écrivaine fait encore bifurquer son talent vers d’autres domaines : elle explore en effet avec La vie est faite de ces toutes petites choses un espace romanesque neuf, qu’elle décrit elle-même comme un « roman sur une aventure réelle ».

Il s’agit en effet de la description d’une formidable aventure humaine, celle de la conquête du ciel, plus précisément celle de la dernière mission d’Atlantis : Montalbetti a rencontré les voyageurs de l’espace et nous décrit avec une légèreté divinement aérienne la vie sur la station spatiale internationale.

Cette aventure a ceci de particulier : non seulement, elle est réelle, mais en outre elle ne met en scène aucun « mauvais » personnage, aucun « méchant », aucun ennemi. Mine de rien, il s’agit d’une vraie gageure : faire tenir un récit en se passant du recours au malheur et au conflit. Et, comment vous dire ? pareil irénisme, qui ne repose pourtant sur aucune naïveté, sur aucune mièvrerie, fait grand bien ! Voilà un livre qui caresse, qui émeut, qui nettoie l’esprit, tout en étant savant, tout en faisant réfléchir, comme du Montaigne, comme du Ponge : ce sont des qualités, la bienveillance et l’intelligence, qui ne vont pas si souvent de pair.

Par ailleurs, paradoxalement, ce voyage tout à fait extraordinaire, réservé à un très petit nombre d’êtres humains, est envisagé ici à travers le quotidien, les petits gestes, les habitudes : ce sont les particularités de la vie sans la gravité terrestre que Montalbetti se plaît à décrire avec finesse et humour. Aussi le titre, La vie est faite de ces toutes petites choses, peut-il être lu comme un double manifeste : à la fois à la gloire du quotidien et de la littérature qui en rend compte.

Car la littérature n’est pas en reste dans ce livre, loin de là, et l’on y retrouve une des caractéristique de la première manière de Montalbetti : ses adresses aux lecteurs. Page 271, elle nous interroge sur notre façon de lire le type de récit particulier qu’elle est occupée à écrire. Je termine mon compte rendu en citant ce passage, qui illustre plusieurs traits du style de Christine Montalbetti et qui constitue, l’air de rien, une vraie réflexion sur la lecture :

«Et pour vous, est-ce que cela change quelque chose à votre manière de lire, à toute cette dépense d’imagination qui est la vôtre à chaque roman, à tout ce travail parallèle que vous faites, pour transformer en retour ces phrases en représentations intérieures ? Peut-être pas, même si vous pouvez toujours, dans un moment d’enquête, aller chercher sur internet les visages de ceux dont je parle, voire visionner une ou plusieurs vidéos. Votre inventivité, votre fantaisie, ont tout loisir de continuer à s’épanouir à leur guise. D’autant que dans ce monde où il est question d’impesanteur, les corps des astronautes flottent d’une manière qui n’est pas si éloignée, il me semble, de celle dont les personnages de roman généralement nous apparaissent, eux aussi, à leur manière, créatures flottantes, harmonieuses et régressives, barbotant dans le doux bain de nos imaginations.»

Laurent Demoulin

Lectures pour l'été 2017
Romans, nouvelles et récits romancés
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