Philip Roth, Le complot contre l'Amérique

RothCe n'est pas d'un ouvrage nouvellement publié qu'il s'agit ici mais l'accession récente de Donald Trump à la présidence des États Unis d'Amérique a conféré à cette uchronie de Philip Roth une terrifiante crédibilité et cela valait bien une relecture du roman partiellement autobiographique de ce géant de la littérature américaine, souvent évoqué pour le Prix Nobel de Littérature.

Nous sommes en 1940. Un héros national, Charles A. Lindbergh, universellement célèbre pour les quelques heures d'un fait audacieux et glorieux, la première traversée de l'Atlantique en avion en mai 1927, mais malheureusement aussi pour la tragédie de l'enlèvement et l'assassinat de son petit garçon en 1932, fait fi de sa totale incompétence en politique et se présente aux élections contre le Président Franklin D. Roosevelt. Celui-ci est candidat à sa réélection pour un troisième mandat, à un moment où la scène internationale se montre particulièrement brûlante en Europe et en Asie. L'enjeu est l'implication du pays, dont la population est fortement isolationniste, dans ce qui deviendra le deuxième conflit mondial avec l'entrée en guerre des USA et du Japon après l'attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941. Il est élu et je laisse au lecteur le plaisir de découvrir ce qui va s'ensuivre. Roth saisit ici l'occasion de nous plonger dans la société juive du New Jersey de l'époque et de partager ses angoisses d'enfant à une époque où les nouvelles venues d'Europe sont extrêmement inquiétantes. On assiste alors à une montée de l'antisémitisme aux USA, encouragé et entretenu par un Président dont le premier acte officiel est la signature d'un pacte de non-agression avec l'Allemagne nazie et qui entreprend d'emblée des déportations vers le Midwest.

Dans la réalité, c'est bien Roosevelt qui sera réélu (ainsi qu'en 1945 car ce n'est qu'en 1951 que sera adopté le 22e amendement à la Constitution qui limite à deux les mandats des présidents des États-Unis) et son opposant ne fut pas Lindbergh, mais Wendell Wilkie, un quasi-inconnu. Roth avait cependant une bonne raison de choisir Lindbergh (qui fut d'ailleurs précédemment sélectionné par Daniel Easterman dans son roman "K" en 1999), car le héros du Spirit of St Louis fut un des champions du comité "America First" (AFC), important mouvement isolationniste fondé en 1940 et dissout en décembre 1941. On se souvient que "America First" fut également le slogan martelé ad nauseam par D.J. Trump lors de son discours d'investiture le 20 janvier 2017.

Écrit à une époque où personne n'eût misé sur Trump comme futur président, ce livre semble prémonitoire. Certes, la comparaison s'arrête là. Trump n'est pas Lindbergh. Ses faits de gloire n'ont pas la trempe de ceux de l'aviateur, loin s'en faut. Ses nombreuses phobies n'incluent pas spécifiquement l'antisémitisme - obsession légitime de Roth dans l'ouvrage - mais elles n'en sont pas moins comparables. En outre, le Lindbergh du roman n'est pas psychopathe ni même intellectuellement limité. Toutefois, le livre nous offre une curieuse résonance en ce qu'il expose comment le système électoral présidentiel (en général, pas seulement américain), par définition hyper-personnalisé, conduit implacablement à la victoire d'individus dont la célébrité, d'où qu'elle vienne, fascine l'électeur au point de leur accorder un crédit tant immérité que disproportionné. Ce phénomène s'amplifie lorsque les idées défendues par le candidat sont en phase avec des tendances souvent inavouées, voire indicibles, d'une partie de la population et leur confère une légitimité ou, en tout cas, les rend banales, acceptables.

Un tel sujet ne pouvait amener qu'à deux dénouements, un optimiste ou un pessimiste. Je vous laisse découvrir lequel Roth a choisi. Personnellement, j'attendais l'autre...

Bernard Rentier

Philip Roth, Le complot contre l'Amérique, Trad. Josée Camoun, Folio, 2007, 576 p.
 

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