Petros Markaris, Le justicier d'Athènes

MarkarisQuand le polar devient peinture sociale... Les bons polars sont souvent des romans d'ambiance qui, par l'intrigue, nous plongent dans les milieux où se commettent les crimes et dans le milieu de l'enquêteur. Qui ne connaît les romans noirs américains ? Il y a quelque chose de semblable dans le roman de Petros Markaris. Pourtant, par une série de décalages, on est aussi dans un roman tout à fait différent. Les banlieues sordides où les crimes et les enquêtes se déroulent essentiellement de nuit, sont ici remplacées par le soleil aveuglant d'Athènes et les sites archéologiques. L'enquêteur paumé (qui a raté sa vie et ne voit plus ni sa femme ni ses enfants, quand ceux-ci n'ont pas même été tués), est chez Markaris un commissaire équilibré, heureux en ménage, sans problème particulier de relations avec son entourage, même si sa fille envisage d'accepter un travail à l'étranger. Les victimes ne sont nullement de pauvres femmes choisies au hasard, mais de riches financiers ayant fraudés l’État. D'ailleurs, les crimes sont signés par « le percepteur national », qui enjoint les fraudeurs à payer leurs impôts sous la menace. Le couteau que l'on imagine rentrer dans les chairs se voit échangé contre de la ciguë, renvoyant à la condamnation de Socrate.

Comme on le voit, la Grèce est omniprésente. L'intrigue n'aurait jamais pu se dérouler ailleurs. Mais qu'on ne s'y trompe pas : c'est bien de la Grèce d'aujourd'hui dont il est question, ce pays dévasté par une crise sociale inimaginable au sein d'un pays européen. Le décor est immédiatement planté par la première scène de crime sur laquelle est appelé le commissaire Kostas Charitos : on y découvre les corps de quatre vieilles femmes et une lettre où elles expliquent que, n'ayant plus les moyens de se soigner et de vivre décemment, elles ont préféré en finir. C'est peut-être ce qui marque le plus le lecteur, ce qui constitue une véritable différence avec tous les autres romans policiers : son caractère profondément social. La peinture de la société grecque, de sa misère et de ses débrouilles est remarquable à la fois par sa vivacité, mais aussi par le fait que l'auteur soit parvenu à éviter tout moralisme, toute culpabilité et tous les bons sentiments qui baignent jusqu'à les rendent poisseux une bonne partie de la littérature à tendance sociale.

Anne Staquet

Petros Markaris, Le justicier d'Athènes, tr. Michel Volkovitch, Points, 2014, 320p.
 

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