Alberto Manguel, Voyages imaginaires

ManguelQui connaît les Français Denis Veiras, l’abbé Pierre-François Guyaut Desfontaines et Étienne Cabet, le Canadien James De Mille, l’Américaine Charlotte Perkins Gilman et le Hongrois Frigyes Karinthy ? Ils sont respectivement les auteurs d’Histoire des Sévarambes, peuples qui habitent une partie du troisième continent, communément appelé la terre australe (1677), du Nouveau Gulliver ou Voyage de Jean Gulliver, fils du capitaine Gulliver (1730), de Voyage en Icarie (1839), de L’étrange manuscrit trouvé dans un cylindre de cuivre (1888), de Herland (1915) et de Capillaria ou Le Pays des femmes (1921), autant de romans repris par Alberto Manguel dans Voyages imaginaires. « Notre géographie du monde est infiniment plus vaste que celle du monde matériel », se réjouit dans sa préface l’écrivain canadien d’origine argentine, déjà auteur d’un Dictionnaire des lieux imaginaires (Babel). « Peut-être les récits de voyages imaginaires ne naissent-ils que d’un simple désir de voir plus loin que l’horizon », remarque-t-il encore, rappelant que se sont surtout les îles qui ont fait rêver : Circé, l’Atlantide, l’Île mystérieuse, l’Utopia de Thomas More, l’île de Robin Crusoé ou celles rencontrées par Gulliver lors de ses voyages (dont Lilliput). Et de préciser que « contrairement à la géographie des encyclopédies et des atlas, la géographie imaginaire n’a pas de frontières. Ses lieux existent dans un espace illimité et occupent un paysage dont l’abondance est infinie ».

Le roman de Veiras (ou Vairasse) raconte l’histoire des Sévarambes, une société oubliée formée des descendants d’un second couple créé par Dieu après le Déluge. Ce système monarchique est régi par des lois religieuses et séculaires extrêmement rigoureuses. Desfontaines, quant à lui, après avoir traduit en français Les Voyages de Gulliver, en écrivit la suite qu’il attribua au même Swift et qui connut un succès tel qu’il fut traduit… en anglais. S’inscrivant dans le courant des auteurs utopistes, même s’il s’en démarque par certains aspects, Voyage en Icarie montre une société où les lois sont établies par les citoyens eux-mêmes, selon leurs besoins et leur conscience. En Angleterre, où il avait dû fuir à cause de son hostilité au roi Louis-Philippe, son auteur, Étienne Cabet, avait en effet découvert les théories de Thomas More et de William Owen. Dans L’Étrange manuscrit, James De Mille invente un peuple, les Kosékins, qui vivent sous la glace dans l’Antarctique et parlent une langue proche de l’hébreu. Sociologue réputée, Charlotte Perkins Gilma signe, avec Herland, une utopie féministe dont les héros sont trois Américains qui sont les premiers mâles à visiter un pays dont la société est entièrement féminine. Une société idéale, sans crime, écologique et tournée vers le bien-être de toutes. Connu pour son Voyage autour de mon crâne, Karinthy fait, à travers la société de femmes bien peu exemplaire qu’il dépeint dans Capillaria, une description satirique des rapports hommes-femmes. La vie y est hédoniste, et ses habitantes, les Oihas, se servent de créatures en forme de pénis à la fois comme aliments et engins de reproduction. À la fin de son héros, Lemuel Gulliver, reconnaît n’avoir « plus envie d’être un homme ».

Alberto Manguel, Voyages imaginaires (Bouquins). Traduction de la préface par Christine Le Bœuf
 

Sorties de presse des ULgistes - printemps 2017
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