Erik Orsenna, L’amitié des mots

OrsennaParallèlement à ses romans (de L’Exposition coloniale à Madame Bâ), à ses biographies (Le Nôtre, Pasteur) ou à ses essais (sur l’eau, le papier ou le coton), Erik Orsenna a écrit cinq ouvrages consacrés à la langue française réunis en un seul volume (et illustrés, comme dans les éditions originales). Non pas sous la forme d’essais, ce serait mal connaître cet académicien bien peu académique, mais de contes écrits en réaction contre les manuels « censés apprendre le français » aux enfants, mais qui, « au lieu de s’émerveiller de notre langue la traitent comme un cadavre », comme il le rappelle dans sa préface.

La grammaire est une chanson douce (2001), savoureux et intelligent voyage au pays des mots, traduit en de nombreuses langues et qui a donné lieu à plusieurs dizaines d’adaptations scéniques, musicales ou théâtrales, raconte comment Jeanne, dix ans, et son frère Thomas, quatorze ans, partis rejoindre leur père outre-Atlantique, font naufrage et trouvent refuge sur une île dont les principaux habitants sont des mots. Ils y découvrent notamment une ville où cohabitent harmonieusement noms, adjectifs, pronoms et adverbes, et visitent une usine, «la plus nécessaire du monde», permettant de former des phrases.

Dans Les Chevaliers du Subjonctif (2004), on retrouve Jeanne, toujours « maladivement curieuse ». Menant une enquête sur l’amour, elle est invitée par le cartographe de la République – en fait une dictature dirigée par une certain Nécrole – à survoler en deltaplane cinq îles voisines, celles des conjugaisons. L’équipage échoue sur celle du Subjonctif. Au cœur de cet « univers du doute, de l’attente, du désir, de l’espérance », dont la raison d’être de ses habitants est de « réclamer tous les possibles », donc de « critiquer le monde tel qu’il est, la pauvreté, les injustices », la fillette voit son frère occupé à transformer la mer, ce Grand Subjonctif, en une porte ouverte à nos rêves.

Engagée comme gardienne de phare, Jeanne voit arriver des comédiens. Mais, stupeur, les accents, comme les épices, disparaissent. Tandis que les mets perdent de leur saveur, le français s’affadit. Voici donc nos vaillant héros, guidés par Circonflexe et Kljukica (un accent slovène), et accompagnés par la Princesse de Clèves, en route vers d’étranges et insoupçonnés rivages. La Révolte des accents (2007) montre à quel point les accents sont importants. « Sans ses accents, constate l’auteur, la langue française devient plus morne, plus plate, car ils apportent aussi un ton. Ainsi que de la profondeur, comme l’accent circonflexe qui remplace une consonne, notamment le “s”. Ils sont plus utiles qu’on ne le pense. Jusqu’au 15e siècle, ils n’existaient pas. Ils ont été inventés pour des questions de clarté, pour éviter les incertitudes et le double sens. La langue ressemble à un être vivant qui bouge, sans arrêt remis en cause. Notre langue est un trésor dont il est dommage de ne pas mieux profiter. »

Dans Si on dansait ? (2009), Jeanne, 16 ans, entraîne les lecteurs dans un nouvel univers grammatical, celui de la ponctuation. Rédigeant les devoirs des élèves de l’île, contre menue monnaie, l’adolescente devient bientôt la plume d’hommes politiques. Ce qui lui permet de se rendre compte que les virgules, points d’exclamation et autres points de suspension confèrent à la phrase un rythme singulier. Comme en musique, dont elle apprend les bases avec Tom, son musicien de frère.

La Fabrique des mots (2014) raconte une guerre menée contre Nécrole, le dictateur qui, effrayé par l’abondance des mots, chez les chanteurs, les poètes, les raconteurs d’histoires ou les amoureux, décide de les interdire pour n’en conserve que trente. C’est l’institutrice de l’île qui est aux avant-postes, bien décider à sauver le plus de mots possible.

Une courte réflexion historique, Plaisirs secrets de la grammaire, termine ce volume.

Erik Orsenna, L’amitié des mots (Le Livre de Poche)
 

Sorties de presse des ULgistes - printemps 2017
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Voir aussi : Les écrivains de l'ULg