En septembre dernier, les étudiants du département Musique du Conservatoire royal de Liège ont eu l'occasion d'assister à une conférence de Yaël Nazé, astrophysicienne de l'Université de Liège. L'objectif de cette rencontre était de mettre en place une étroite collaboration qui devait mener à des compositions musicales originales inspirées de corps célestes. L'occasion pour ces étudiants de découvrir un monde à part entière, en partie mystique et en partie scientifique. Le résultat : un concert commenté « Musiques des Sphères » à découvrir le 8 mai prochain, dans le cadre du cycle « Musique et Astronomie ».
Comme le note Yaël Nazé dans son article, lier la composition musicale et l'astronomie n'est pas une entreprise nouvelle. Des compositeurs aussi variés que David Bowie, John Cage, Europe, mais également des mouvements de pensée aussi anciens que les Pythagoriciens se sont tournés vers les astres pour inspirer ou fonder leur musique.
Cette année, la classe de composition de Michel Fourgon, au Conservatoire royal de Liège relève ce défi : utiliser l'astronomie, les astres, pour créer des pièces originales, en collaboration avec Yaël Nazé.
C'est véritablement un monde qui s'est ouvert à eux et les a inspirés. Comment ces compositeurs se sont-ils confrontés à la science astrophysique ? Comment leurs professeurs les ont-ils guidés ? Qu'ont-ils retiré de la collaboration entre l'Université et le Conservatoire ?
« On n’est que la somme de ce que l'on sait des autres »
Comment enseigner aux étudiants artistes à utiliser un matériau complexe comme la science ? À Liège, on considère qu'il ne faut pas imiter ou suivre un courant coûte que coûte. Les étudiants sont amenés à se découvrir eux-mêmes lorsqu'ils composent. Michel Fourgon, titulaire de la classe de composition, essaye dès lors de leur présenter des pistes, de les guider vers l'un ou l'autre compositeur qui aurait déjà abordé le matériau choisi. Si, selon lui, il n'existe pas d' « école de Liège » avec une esthétique qui lui serait propre, l’attention au public reste le leitmotiv dans la création. Cette année, Michel Fourgon a ainsi consacré un cours aux débuts de pièces et un autre aux fins, car, nous dit-il, « le début est le moment où on rejoint l'auditeur, et la fin celui où on quitte l'auditeur, et où on lui laisse l'idée de la pièce qui va rester dans sa mémoire. ».
Le « matériau science » n'est pas enseigné tel quel : on aborde certaines données ou méthodes utilisées par les compositeurs au cours de l'histoire, comme le nombre d'or, la suite de Fibonacci, le traitement électronique du son, etc. Mais puisque le matériau en lui-même est toujours choisi librement par l'étudiant, les enseignants préfèrent le guider vers des pièces qui pourraient l'inspirer, plutôt que de lui donner une marche à suivre. « On n’est jamais que la somme de ce que l'on sait des autres, même si on peut inventer du nouveau. ». La musique s'apprend en s'inspirant des autres, mais uniquement dans l’objectif de développer sa propre esthétique, sa musique personnelle, ses compositions propres.
Les compositions
Les étudiants ont donc dû, pour ce concert « Musiques des Sphères », fonder leurs compositions originales sur des données scientifiques. Certains s’en sont inspirés assez librement, mais d'autres ont réellement utilisé ces données de façon rigoureuse pour les intégrer dans le processus de création musicale.
C'est notamment le cas de Jérémie de Witte qui a choisi d’utiliser des données chiffrées de la Lune pour obtenir des rapports entre les sons et les transcrire ensuite sur partition. Il a ainsi utilisé la distance entre la Lune et la Terre, la vitesse orbitale, la durée d'un cycle lunaire, l'inclinaison... Tous ces chiffres lui ont servi à créer des modes, qu'il a assemblés au moyen du cycle lunaire, sorte de toile de fond de la pièce dont le point culminant est la pleine lune.
« Plusieurs fois eu l'envie de laisser tomber, » avoue-t-il. « Ce que j'obtenais au départ des données mathématiques, je n'avais pas l'impression que c'était de moi, je n'étais pas habitué aux sonorités. En même temps, aller au bout de l'idée, découvrir ces nouvelles sonorités a été mon principal moteur. ». L’artiste est cependant sorti quelquefois de ce système mathématique : « Il faut le voir comme matériau dont on se sert pour aller plus loin, il ne doit pas être une limite. ». Sa pièce, Luna, est écrite pour une guitare, une harpe et une mandoline désaccordées en quarts de ton (au lieu de demi-tons) afin d'obtenir un décalage.
Soft You Now ! C'est ainsi que Nicolas Defraiteur nomme sa création pour quatuor à cordes fondée sur le phénomène KIC 9832227, un système de deux étoiles qui orbitent l’une autour de l’autre, de plus en plus vite, et s'approchent l'une de l'autre chaque jour.
Nicolas Defraiteur a commencé par lire plusieurs articles de vulgarisation scientifique sur le sujet puis il a traduit les descriptions en langage musical. L'accélération exponentielle des planètes est retranscrite en une augmentation de tempo, un ambitus de plus en plus grand et un changement de frequence, pour evoquer la signature du mouvement par effet doppler. (L’effet doppler est par ailleurs une des techniques utilisées pour détecter, par la variation des ondes, une exoplanète, mais ce n'est pas le cas ici.)
Selon certains modèles, KIC 9832227 devrait exploser en 2022 et la fusion des deux étoiles produirait une nova rouge. Les scientifiques semblent ne pas tout à fait savoir ce qui va réellement se passer. Cette incertitude plaît au compositeur qui, du coup, fait évoluer sa pièce jusqu'à ce que...
Un autre artiste, Jonah Blumenthal, avait dans un premier temps orienté sa pièce vers les Klingons de Star Trek. Par la suite cependant, il s'est intéressé à ce lieu où ils sont supposés vivre selon la série : la constellation du Lion.
Même si sa composition Good news from outer space est souvent libre, il s'est orienté pour un des mouvements vers une technique déjà employée par John Cage : reprendre la carte de la constellation du lion pour la décalquer sur la partition. Les étoiles deviennent alors les notes qui se posent sur les lignes de la portée.
Il a également utilisé le nom des étoiles : Régulus devient la note « ré », par exemple. Oscillant entre la science et la fantaisie, Jonah Blumenthal a élargi son champ de vision et découvert l'astronomie et les compositeurs qui s'en sont inspirés, notamment la pièce de Grisey sur les pulsars. « Aujourd'hui, explique-t-il, lorsque je lis des articles concernant l'astronomie, j'ai plein d'inspiration pour composer. ».
Une expérience fructueuse
Michel Fourgon, Jérémie de Witte, Nicolas Defraiteur et Jonah Blumenthal s'accordent sur ce point : la collaboration entre l'Université et le Conservatoire a été hautement bénéfique. Tous les quatre y trouvent une double ouverture : la musique contemporaine accueille un nouveau public, un public jeune, et la classe de composition découvre un nouveau monde de matériaux possibles pour la création. Pour Michel Fourgon, ce type d'événement est très important, très enrichissant. Généralement, les collaborations se font plutôt avec les branches littéraires et celle-ci est l'exception, la première qui se fait avec une branche scientifique. Enchanté de cette expérience, il souhaite continuer dans cette voie, en explorant d’autres sciences comme peut-être la biologie. Sans bien sûr forcer les choses « Cela doit rester artistique, la science ne fait pas de la musique. »
Toute nouvelle collaboration avec l’Université sera donc bienvenue, si bien sûr les étudiants y trouvent leur inspiration, car l’esthétique de Liège laisse la liberté et le mouvement dans toute création artistique.
Le concert
Les œuvres issues de cette expérience unique seront à découvrir le lundi 8 mai 2017 à la salle académique de l'Université de Liège, à 20 heures. Neuf jeunes compositions présenteront les œuvres qu’ils ont créées en explorant l’univers, avec une courte présentation scientifique de Yaël Nazé.
Sébastien Tong
Avril 2017
Sébastien Tong est étudiant en Master en Philosophie à l'Université de Liège et en Histoire de la Musique au Conservatoire Royal de Liège