Rumeur et petits jours, par le Raoul Collectif, à Philostory et au Théâtre de Liège

rumeur1Le Raoul Collectif a été fondé en février 2009 par cinq élèves du Conservatoire de Liège, Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szézot. Le Signal du promeneur, leur premier spectacle créé début 2012, a été récompensé par quatre prix internationaux et continue de tourner. Leur nouvelle création, présentée en novembre 2015 au Théâtre National de Bruxelles puis à Avignon l’été dernier, Rumeur et petits jours, sera jouée au Théâtre de Liège du 21 au 25 mars. Le 20 mars, Grégory Cormann (Philosophie) et Jeremy Hamers (Arts du spectacle) s’entretiendront avec les membres du collectif dans le cadre de Philostory, un cycle de rencontres initiées en 2015 par Maud Hagelstein, chercheuse qualifiée FNRS au sein du service d’esthétique du département de philosophie de l'ULg, et qui envisagent la confrontation entre la philosophie et l’univers théâtral.

 

Comment êtes-vous entrés en contact avec le Raoul Collectif et dans quelle mesure sa démarche s’intègre-t-elle dans votre travail universitaire ?

Jeremy Hamers : Grégory Cormann suit le Raoul Collectif depuis ses débuts. Invité à débattre avec les comédiens pour Philostory, il m’a proposé de me joindre à lui. Nous collaborons depuis plusieurs années dans le cadre de cours et de conférences universitaires et extra-universitaires sur des questions de cinéma, de littérature et de philosophie. Rumeur et petits jours a été l’occasion d’ouvrir cette collaboration à un objet théâtral, dans la perspective d’une réflexion commune sur les rapports entre art et politique, entre art et critique sociale.

Grégory Cormann : J’avais vu Le Signal du promeneur, qui est l’aboutissement de leur travail de fin d’études. J’ai été marqué par le montage d’extraits de livres ou de films venant interroger nos modes de vie contemporains à partir d’histoires de personnes qui ont essayé d’y échapper, tel Jean-Claude Romand, ce faux médecin de l’OMS qui a assassiné sa famille ou tel Belge scientifique autodidacte qui recherche incessamment des espèces animales disparues dans un désert mexicain. Le pari qui nous a également d’emblée intéressé, c’est leur volonté d’assumer collectivement les différents volets que nécessite toute création théâtrale : l’écriture, la mise en scène, l’interprétation, la promotion, etc.

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De quoi parle Rumeur et petits jours ?

J. H. : Les comédiens interprètent cinq chroniqueurs d’Épigraphe, une émission de radio que l’on imagine intellectuelle ou littéraire, mais qui s’intéresse aussi aux sciences naturelles, et dont c’est la 347e et dernière diffusion. La chaine a en effet décidé de la déprogrammer parce qu’il n’y a plus de place pour une émission qui cherche à parler du beau et qui, manifestement, tourne en vase clos. La pièce commence par l’arrivée de l’équipe quelques minutes avant le passage à l’antenne. Ils ne sont pas assis autour d’une table mais les uns à côté des autres, face au public. Cette occupation de l’espace est déterminante pour la question du groupe ou de l’équipe : le début de la pièce marque ainsi une évolution par rapport au premier spectacle du collectif où l’on assistait notamment à des exercices « en cercle », de mise en commun et de fusion. Ici, les chroniqueurs, dont certains sont d’anciens soixante-huitards, se disent, à des degrés divers, insatisfaits de cette déprogrammation, tout en n’hésitant pas, se connaissant très bien, à s’envoyer des piques. Le tableau n’est pas du tout harmonieux.

rumeur4À travers ces conflits et ces tensions, nous pensons que la pièce remet en jeu, dans l’espace théâtral, le mode d’existence et de création du collectif. Sans pour autant en être une simple mise en abîme réflexive par le biais de la situation radiophonique. Les choses se mélangent beaucoup plus finement. C’est cette problématisation de la production artistique collective, à l’intérieur même de la pièce, qui nous intéresse. Dans quelles conditions est-elle encore possible ? Dans quel cadre s’insère-t-elle ? À quelles apories est-elle confrontée ? On dépasse donc très vite la critique de la déchéance du service public, ou de la fin des émissions dites « de qualité ». Ce positionnement, qui n’est pas réductible dans le cas des Raoul à un théâtre de dénonciation frontale d’une forme de déchéance, nous a paru très riche.

G. C. : Un autre élément intéressant est la manière dont, précisément, les Raoul, d’un spectacle à l’autre, jouent sur leurs fragilités, réelles ou feintes. Comme collectif théâtral, ils ne cessent évidemment de retravailler leurs pièces qui, dès lors, évoluent constamment, en intégrant, par exemple, des interventions ou des dialogues supplémentaires. Mais c’est une autre chose, collectivement, comme collectif théâtral, de faire reposer des temps importants de la création sur des fragilités, des hésitations dans le phrasé, dans la posture corporelle…

 

La pièce possède également une portée politique plus affichée, avec la présence d’une certaine TINA, ainsi qu’une dimension comique.

rumeur3J. H. : Après une panne de courant, les chroniqueurs ont l’idée de déguiser l’un d’eux en femme qu’ils appellent TINA, l’acronyme de There Is No Alternative, le slogan du thatchérisme et plus largement d’une certaine forme de libéralisme économique très dur. Ils la soumettent à des questions. Peut-on la faire taire ? L’éliminer ? Etc. Au-delà de la critique du slogan TINA, et de l’idée qu’il renferme, il s’agit d’une mise en cause de tout débat qui se réduit à la confrontation de slogans, de raccourcis, d’oppositions contradictoires radicales.

G. C. : Cette critique est également incarnée par un des animateurs de l’émission qui fait régulièrement la synthèse de ce qui a déjà été dit jusque-là. Ses textes de synthèse sont composés de mots qui ont effectivement été prononcés précédemment, mais qui n’ont pas de rapports entre eux. Il force ces rapports jusqu’à transformer complètement leur signification. L’effet comique de ces cadavres exquis composés en direct démontre l’absurdité de la contraction et de la réduction des termes d’un débat à une alternative simple. L’optimisme revendiqué par le Raoul collectif est inséparable de la possibilité de faire exister et d’imaginer plusieurs possibilités alternatives.

 

Michel Paquot
Mars 2017

 

Le Signal du promeneur

3 représentations du 29 au 31 mars 2017 au Théâtre de Namur
5 représentations du 9 au 13 mai 2017 au Théâtre National de Bruxelles

 

Rumeurs et petits jours

5 représentations du 21 au 25 mars 2017 au Théâtre de Liège
4 représentations du 4 au 7 avril 2017 au Trident à Cherbourg
3 représentations du 20 au 22 avril 2017 au Théâtre de Namur

 

Membre du Raoul Collectif, interprète de Laïka, monologue écrit par Ascanio Celestini et créé en début d’année au Théâtre National de Bruxelles, David Murgia lira des extraits d’œuvres de Hans Magnus Enzensberger lors de la soirée de clôture du colloque de l’ULg « H.M. Enzensberger / Constellations » consacré à cet écrivain allemand, le 28 avril à la librairie liégeoise Livre aux trésors.