La Bible palatine, joyau des Collections de l’ULg, exposée à Liège

Page de titreLuther est, pendant trois mois, en vedette au Musée Curtius à Liège. Ou, plus exactement, parmi des gravures de Cranach l’Ancien et de nombreux livres rares et précieux, sa Bible palatine parue en 1560 à Francfort et illustrée de gravures de Virgil Solis. Cet exemplaire, qui a conservé sa reliure originale et présente une très belle page de titre peinte, est l’une des richesses du Réseau des Bibliothèques de l’ULg. Annick Delfosse, l’une des deux commissaires de l’exposition avec Cécile Oger, toutes deux enseignantes et chercheuses à l’ULg, commente cet événement exceptionnel.

 Page de titre de la Bible palatine
conservée à la Bibliothèque Alpha de l'ULg:
Biblia das ist die ganze Heilige Schrift
 

 

Qu’est-ce que Transitions, cette Unité de recherche sur le Moyen Âge et la première Modernité que vous dirigez ?

Cette Unité de recherches (d’abord Centre puis Unité de Recherches), née en 2010, rassemble des chercheurs venant de différentes disciplines de la Faculté de Lettres de l’ULg : il s’agit de philologues, des historiens, des historiens de l’art ou de la littérature, des musicologues, etc. Ils ont tous en commun la volonté de travailler sur le Moyen Âge et le début de l’époque moderne avec le désir de transcender les traditionnels clivages entre ces deux périodes que l’on a trop souvent l’habitude d’envisager séparément et de comprendre ce qui se joue dans ce moment de transition.

 

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Lucas Cranach, Le crucifix adoré par
l'électeur de Saxe et par Luther
© Collections artistiques ULg

 

 

Est-ce dans ce cadre que s’inscrit « Luther et la Bible palatine » ?

Il y a cinq ans, le Comité Luther 2017, désireux de commémorer le 500e anniversaire de la naissance de la Réforme, m’a demandé de monter cette exposition. Avec Cécile Oger, responsable des collections patrimoniales des Bibliothèques de notre institution et spécialiste de l’histoire de l’art du 16e siècle, nous avons relevé ce défi avec enthousiasme et décidé d’assurer ensemble le commissariat scientifique de cette exposition, dont les thématiques (la réforme, l’histoire du livre, la gravure ancienne…) relèvent directement des axes de recherche développés par Transitions. Il nous tenait par ailleurs à cœur que cette exposition, à l’initiative du Comité Luther 2017, soit placée sous les auspices de notre unité et de l’Université. La majeure partie des pièces exposées viennent en effet des collections patrimoniales de notre Université (Réseau des Bibliothèques et Collections artistiques).

Comment le théologien allemand Luther en vient-il à s’opposer à l’Église et à fonder la Réforme ?

C’est un homme en crise, convaincu que ce qu’apporte l’Église à ce moment-là ne permet pas de répondre aux questions concernant son salut : comment peut-on être pardonné pour ses péchés ? Comment peut-on se réconcilier avec ce Dieu-juge tout puissant ? Pour lui, les solutions très pragmatiques proposées par l’Église – faire des prières, jeûner, aller en pèlerinage, etc. – sont trop faciles et mensongères, parce qu’elles laissent croire au chrétien qu’il est libre de travailler à son propre salut. Luther propose alors une théologie toute neuve qui connait un grand succès car l’ensemble de l’institution ecclésiastique est en crise dans toute l’Europe, et particulièrement dans l’espace allemand. Luther n’est pas le premier à proposer de réformer l’Église mais le contexte de l’époque explique en grande partie son important succès.

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Heinrich Aldegreveer, Le pouvoir et la mort, suite de 8 estampes, 1541. N° 4 :Adam travaillant la terre -
Lucas Cranach (1472-1573), L'Apocalypse. Les quatre cavaliers. © Collections artistiques ULg

 

Pourquoi, dans les 95 thèses qu’il publie en octobre 1517, date retenue comme marquant le début de la Réforme, dénonce-t-il les indulgences qui permettent aux chrétiens de racheter leurs péchés ?

Pour Luther, le moment déclencheur de la Réforme est lorsque l’archevêque de Brandebourg, qui multiplie les fonctions épiscopales, obtient du pape Léon X le droit de mener une grande campagne promotionnelle pour les indulgences, une campagne qui se confond avec la recherche de financements pour construire Saint-Pierre à Rome. Les chrétiens de cette époque sont en effet convaincus que, pour chaque péché commis, ils doivent subir une peine qui sera exécutée dans l’au-delà, dans cette antichambre du Paradis qu’est le Purgatoire. Une indulgence, c’est la promesse de remise de ces peines contre un jeûne, des prières, des pèlerinages, etc. Mais aussi en donnant l’aumône, soit de l’argent. Luther est choqué non parce que l’on donne de l’argent pour construire Saint-Pierre, mais parce que l’Église affirme qu’il suffit d’en donner pour que les peines soient remises. Pour lui, sans un travail de conversion, de pénitence intense, on ne peut pas obtenir leur remise. Il dénonce un mensonge de la part de l’Église, une tromperie à l’égard des chrétiens.

 

Timmerman 12599Pourquoi l’Église est-elle en crise à cette époque ?

De plus en plus de gens considèrent que les chrétiens croient mal, que le christianisme est devenu une religion de l’apparence, du geste, du faste, qu’elle n’est plus suffisamment intérieure, spirituelle. Elle souffre aussi d’un problème de gouvernance. Un siècle plus tôt, elle a traversé ce qu’on appelle « le grand schisme » pendant lequel elle a connu trois papes, sans qu’une réforme ait réellement suivi. Luther dit en outre que la seule autorité possible est le texte biblique. Dès lors, toutes les explications qui viennent en sus, formulées au fur et à mesure des siècles par les papes, les théologiens et même par les prêtres, sont des interprétations qui ne peuvent faire autorité. Il encourage un retour à la Bible par chaque fidèle au nom de ce qu’il nomme le sacerdoce universel selon lequel tous les hommes sont prêtres. Chacun est capable de lire et de comprendre la Bible, et d’ainsi trouver des réponses à ses questions.

 

Franz Timmerman ou Anton Heusler,
La Chute et la Rédemption, 1535
© Collections artistiques ULg

 

09889Pourquoi l’Église reproche-t-elle à Luther de traduire la Bible dans une langue comprise par le plus grand nombre, comme si c’était le privilège d’une minorité ?

Les prêtres et théologiens veulent en effet conserver cette autorité liée à leur savoir et au fait qu’ils ont reçu le sacrement de l’ordination qui leur confère un supplément de sacralité aux yeux de tous les catholiques. L’Église, qui est un système très hiérarchisé, est convaincue que la Bible est un savoir précieux qui ne peut être maîtrisé que par ceux qui ont été formés à la lire. Par ailleurs, l’Église a toujours privilégié le latin, comme langue commune à tous les chrétiens et comme langue « sacrée ». C’est d’ailleurs une idée qui a perduré longtemps. Jusqu’à Vatican II, les prêtres disaient la messe en latin tout en tournant le dos aux fidèles.

 

La Bible palatine que vous exposez date de 1560. Or c’est entre 1522 et 1534 que Luther l’a traduite.

La première édition de la traduction du Nouveau Testament date de 1522, un an après le bannissement de Luther par l’Église catholique et Charles Quint, et l’ensemble de la Bible est publié en 1534, illustrée par Cranach l’Ancien. Cette traduction va connaître un énorme succès, il y aura de nombreuses rééditions dans des formats variés et avec des illustrateurs différents. La Bible palatine est une édition très particulière. Alors que toutes les versions sont imprimées à Wittenberg, des imprimeurs de Francfort veulent aussi leur part du gâteau et font leur propre édition en en confiant l’illustration à Virgil Solis. Et c’est celle qui appartient aux richesses patrimoniales de l’ULg qui est exposée. Elle a été acquise par le Séminaire de formation de prêtres à Liège (le séminaire de « la Chaîne », tout près de la cathédrale Saint-Lambert) qui l’a donnée aux jésuites dont une des missions principales était de ramener les protestants, jugés hérétiques, dans l’Église catholique.

 

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Georg Pencz (1500-1550), Joseph descendu dans une citerne par ses frères -
Lucas Cranach, L'Apocalypse. La bête qui monte de la mer. La bête qui monte de la terre © Collections artistiques ULg

 

 

Peut-on dire que la Réforme est l’un des éléments générateur de la Renaissance ?

La Réforme est un moment marquant de la modernité. Ce qui caractérise l’histoire médiévale est d’avoir un groupe de gens habitant un même continent, l’Europe, et ayant en commun l’appartenance à la même Église : on parle alors communément de « chrétienté ». Luther n’est pas le premier à proposer une réforme mais la sienne va faire éclater cette chrétienté. L’unité qui a caractérisé le Moyen Âge vole en éclat: les chrétiens sont désormais divisés et l’Église profondément transformée…

 

Michel Paquot
janvier 2017

 

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Michel Paquot est journaliste indépendant

 

microgrisAnnick Delfosse enseigne l'histoire moderne à l'Université de Liège. Elle est la présidente de « Transitions. Unité de Recherches Moyen Âge et première Modernité »

 

Voir aussi : Réforme protestante.Il y a 500 ans, Martin Luther provoquait le schisme

 


 

 

Exposition Luther et la Bible palatine
du 2 février au 30 avril
Au Grand Curtius, 136 en Féronstrée à Liège

L'exposition s'articule selon 5 thèmes : la figure de Martin Luther ; l’histoire de la Réforme ; l’histoire de la Bible exposée ; la transition du latin, langue sacrée, vers l’allemand, une langue populaire ; l’utilisation par Luther des images satiriques.

Conférences

  • Luther et la Réforme, par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque catholique de Liège
    jeudi 23/02/2017 à 20h00, à l’auditorium du Grand Curtius 
  • Luther et l’Économie, par M. Bruno Colmant, économiste, professeur à l’ULB et la Solvay Business School
    mercredi 15/03/2017 à 20h00, à la Salle académique de l’Université de Liège
  • Luther et le Judaïsme, par M. Thomas Gergely, professeur à l’ULB et directeur de l’Institut du Judaïsme Martin Buber
    jeudi 18/05/2017 à 20h00, à l’auditorium du Grand Curtius
  • Approche musicale commentée : Chants révolutionnaires et musique de la Réforme, par M. Jean-Marie Dzuba au piano et le groupe vocal BASTA
    samedi 27/05/2017 à 20h00, à l’Église protestante de Liège, 22 Quai Marcellis

 

Colloque international 23-24/02La reconquête par le livre et l'image. Au cœur de la réforme catholique dans les Pays-Bas (16e-17e s.)