La Vieille-Montagne (1806-1873). Innovations et mutations dans l’industrie du zinc.

L’innovation, une greffe aux résultats fondamentalement incertains

Stimulées en amont, les pratiques innovantes demeurent incertaines quant à leurs résultats. Les hésitations, les doutes et les échecs, les petits pas, les impasses et demi-tours ont leur place dans l’analyse, tout autant que les success stories. À la Vieille-Montagne où se développe une culture de l'innovation, l'étude comparée de l'introduction de nouveaux procédés illustre la dimension fondamentalement humaine de l’innovation que l’on peut assimiler à une greffe. Cette greffe est toujours une rupture, un renoncement partiel aux savoir-faire ancrés, voire même une remise en cause de l'expertise locale, lorsqu’elle est imposée par la direction générale. Chaque greffe fait l'objet d'un monitoring, d'une évaluation qui est, par essence, incertaine car subjective, au point de donner lieu à des appréciations quelque fois divergentes. Un même procédé peut faire l'objet de louanges d'un côté et être voué aux gémonies de l'autre.

Fonderie Angleur

Vue aérienne de la Fonderie d'Angleur. Collections iconographiques du CHST

 

Nuisances et innovation

La métallurgie thermique du zinc produit d’abondantes vapeurs et fumées chargées de poussières métalliques et de résidus de charbon. Elles confèrent à l'environnement des usines un aspect particulièrement lugubre. Pour régler ce problème de pollution, l’acquisition de terrains ou la distribution de compensations financières aux voisins sont privilégiés par l’entreprise. Dans un second temps, la Vieille-Montagne est forcée par les autorités à investir dans le développement de procédés susceptibles de diminuer les nuisances. La variable environnementale prend ainsi place dans la recherche technique.

Au cours de « l’affaire de Saint-Léonard » – nom donné au conflit qui opposa, dans les années 1850, les riverains à la Vieille-Montagne – l’usine de Liège est équipée de fours à vent, appareils moins polluants. Mais cette concession sera temporaire et l’entreprise renoncera, sur l’autel du rendement, à généraliser le procédé.  

vieille montagne

 L’usine de Borbeck  (à gauche) et  La fabrique de blanc de zinc d’Asnières-sur-Seine  (à droite).
Album Maugendre, 1855, collections iconographiques du CHST-ULg
 

Perspectives

Cette étude historique de l'innovation n'avait pas pour vocation de sensibiliser à sa nécessité mais bien d'améliorer la compréhension d'un phénomène complexe. Au cœur de cette recherche, il est appréhendé comme un processus dynamique, empruntant des cheminements souvent sinueux, et fondamentalement incertain quant à sa finalité, son dénouement ou son issue. Partant de là, l'étude historique du phénomène permet d'éclairer les étapes, les continuités et les discontinuités de ce déroulement et d'identifier les conditionnements et enjeux qui lui sont associés. Ce travail questionne également certains mythes aujourd'hui associés à l'innovation.

Au 21e s., l'innovation est devenue un idéal à atteindre, une fin en soi susceptible de mobiliser bien des moyens. Une série d'injonctions s'y attachent : l'entreprise d'aujourd'hui doit, pour survivre ou conforter sa position concurrentielle, prendre part à la course à l'innovation et acquérir le réflexe de la propriété intellectuelle. Misant sur les savoir-faire traditionnels, l’hybridation ou les transferts de technologie, s’ancrant dans une culture technique, s’opérant quelque fois par réflexes conditionnés, l’innovation technologique n’a – hier comme aujourd’hui – rien d’un long fleuve tranquille.

 

Arnaud Péters
Février 2017

 

 

crayongris2Arnaud Péters est chercheur au Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques, au Département des sites industriels. Sa thèse de doctorat concernait l’histoire du système belge des brevets au 19e siècle et l'innovation dans l'industrie belge du zinc.

 

vielle-montagneArnaud Péters vient de publier La Vieille-Montagne (1806-1873) Innovations et mutations dans l'industrie du zinc  aux éditions de la Province de Liège (octobre 2016). 622 p. Illustrations couleurs.

 Dans la mémoire collective de Liège, la Vieille-Montagne est un des « cinq grands » avec Cockerill, Ougrée-Marihaye, Espérance-Longdoz et la FN. Pourtant elle reste la seule grande société industrielle dont l'histoire détaillée n'ait pas été encore écrite. C'est la tâche à laquelle Arnaud Péters s'est attelé, en prenant pour fil conducteur l'innovation technologique. Il analyse dans le détail les défis, les idées, les tâtonnements, les efforts, les réussites et les échecs des hommes aux prises avec un métal plein de pièges, le zinc.
Ce livre se recommande par une triple actualité. Il montre que la technique est une aventure belle et passionnante, qui mérite qu'on s'y engage. Il immerge son lecteur au coeur des processus d'innovation. Le discours politique martèle « innover ou périr », mais qui sait comment le processus fonctionne ? Par une minutieuse analyse de cas, Arnaud Péters fait découvrir comment le problème génère l'idée créatrice et comment, via le brevet, l'idée se transforme en procédés ou en produits. On pourrait dire que l'innovation est, dès les débuts, dans les gènes de la Vieille-Montagne, ou plutôt dans ses réflexes conditionnés.
Enfin, et de façon plus surprenante, ce livre attaque de plein fouet la question très actuelle de l'environnement et de la pollution industrielle à travers le cas de l'usine de Saint-Léonard à Liège.

 

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