Que sait-on de l’impact de ces représentations sur le joueur ?
Des études expérimentales, qui permettent d’établir des liens de cause à effet, concluent que les participants qui jouent 25 minutes à un jeu vidéo contenant des personnages sexualisés vivraient une augmentation des pensées liées au sexe et s’estimeraient plus à risque de harceler une autre personne. (Yao et al., 2010).
Une autre recherche montre que ce type de contenu amènerait les femmes à se sentir moins fortes physiquement, moins intelligentes et moins efficaces (Behm-Morawitz & Mastro, 2009).
Des études récentes établissent une relation entre le contenu sexiste des jeux vidéo et une attitude sexiste des joueurs en dehors des jeux – sexisme hostile, sexisme bienveillant, une attitude plus négative envers les femmes, allant même jusqu’à une acceptation des mythes du viol4 , c'est-à-dire la pensée que la femme souhaiterait être violée (Fox & Potocki, 2015 ; Fox & Tang, 2014 ; Stermer & Burkley, 2012 ; Dill, 2008).
Cependant ces recherches ne permettent pas de déterminer si c’est le contenu sexiste des jeux vidéo qui provoque ces conséquences ou si c’est la tendance sexiste des personnes qui les poussent à choisir des jeux vidéo de ce genre. Pour le moment, aucune étude longitudinale n’a pu donner de résultats clairs concernant cette problématique.
Que pouvons-nous donc retenir de toutes ces recherches ?
Tout d’abord, que la problématique est encore largement étudiée et que de nombreuses zones d’ombres sont encore à explorer. Ensuite, que, si nous avons besoin de multiplier les preuves quant aux potentielles conséquences négatives de jeux vidéo au contenu sexiste et sexualisant, on peut toutefois raisonnablement penser qu’il est peu probable qu’une exposition à un tel contenu ait des conséquences positives.
On peut dès lors se demander si une action politique ne serait pas nécessaire pour contrer le phénomène. Actuellement, plusieurs projets ont été mis en place pour soit tenter de sensibiliser le grand public, soit pour agir directement auprès des producteurs de jeux vidéo. En Suède, le gouvernement aurait demandé la mise en place d’un label permettant d’identifier le sexisme dans les jeux vidéo. Un projet sérieux, mais dont malheureusement nous n’avons plus de nouvelles depuis deux ans. Le gouvernement français a également voulu agir début 2016 en étendant au sexisme la loi qui contrôle déjà la violence dans les jeux vidéo. Il s'agissait de supprimer les financements de l’État au développement d’un jeu vidéo dont le contenu serait sexiste ou dégradant envers la femme. Cet amendement a été rapidement supprimé. En résumé, les tentatives d’actions existent, mais le sujet ne semble pas encore pris suffisamment au sérieux pour justifier une action définitive.
Mais du coup, faut-il oublier les jeux vidéo pour Saint-Nicolas ou pour les fêtes de Noël ?
Devons-nous tous (le jeune chercheur qui écrit cet article également) boycotter ce média ? Non, bien sûr ! Ne diabolisons pas non plus le jeu vidéo.
Si on peut mettre en évidence des conséquences négatives à certains contenus de jeux vidéo, les chercheurs ont également trouvé des conséquences positives. Par exemple, jouer à un jeu vidéo pro-social (basé sur l’entraide et la coopération) provoquerait plus de comportements pro-sociaux, comme intervenir lorsque l’on est témoin d’une situation de harcèlement, par exemple (Greitemeyer & Osswald, 2010).
Par ailleurs, on sait déjà que les jeux vidéo amélioreraient les capacités cognitives (Green & Seitz). Les jeux d’action principalement permettraient d’améliorer notamment les capacités attentionnelles, les capacités perceptuelles, les capacités multitâches et la flexibilité.
Mais ce qu’il faut surtout retenir de ces études, c’est que le jeu vidéo n’est pas incriminé en tant que tel, c’est le contenu du jeu vidéo qui importe3 Les jeux vidéo sont actuellement parmi les produits culturels les plus vendus. Oui, culturels, car les jeux vidéo, c’est aussi un scénario, du drame, des émotions, des choix moraux…
Alors, comment choisir un jeu vidéo, surtout s’il est destiné à un enfant ou un adolescent ?
L’acheteur a au moins deux possibilités de vérifier l’adéquation du jeu à la personne à qui il le destine.
D’abord, les icônes PEGI figurant sur toutes les boîtes de jeux indiquent l’âge minimum requis et la présence de certains types de contenus (sexe, discrimination, drogue, violence…). PEGI est une société européenne indépendante qui juge le contenu des jeux vidéo grâce à une grille d’évaluation détaillée. Le système est simple : pour chaque nouvelle sortie, le producteur du jeu doit en déclarer le contenu. Cette déclaration servira ensuite de base à l’évaluation du jeu vidéo par la société PEGI. Le système PEGI est ainsi très fiable.
Un autre moyen est de juger par soi-même. Pour ça, pas besoin d’acheter le jeu et d’y jouer. On peut simplement regarder les bandes-annonces des jeux sur internet.
Le dernier – et extrêmement sexualisé – Duke Nukem ne plaît pas ? On peut se diriger vers un autre choix, comme, par exemple, Portal, un jeu de réflexion fun, Remember me, un jeu vidéo d’action sans sexisme (ce qui est assez rare pour être mentionné), ou encore l’élégant et non-violent Epistory – Typing Chronicles (un jeu Belge qui plus est ).
Jonathan Burnay
Novembre 2016
Jonathan Burnay est chercheur dans l'Unité de Recherche en Psychologie et Neuroscience Cognitive à l'ULg. Ses recherches doctorales portent sur le sexisme et la sexualisation dans les jeux vidéo et l'effet de ce contenu sur les comportements et les attitudes négatives envers les femmes.
1Qui ont joué au moins une fois durant les 12 derniers mois 2Conférence annuelle du producteur de jeux vidéo Activision Blizzard (World of Warcraft, Starcraft II, Heros of the storm, Overwatch…) 3Steam est la plateforme de vente de jeu vidéo en ligne la plus couramment utilisée 4Ensemble des croyances qui dédramatisent l’acte de viol (exemple, juger qu’une femme a « mérité » son viol à cause de sa tenue provocante) Bibliographie : American Psychological Association, Task Force on the Sexualization of Girls. (2007). Report of the APA Task Force on the Sexualization of Girls. Retrieved from http://www.apa.org/pi/women/programs/girls/report-full.pdf Behm-Morawitz, E., & Mastro, D. (2009). The Effects of the Sexualization of Female Video Game Characters on Gender Stereotyping and Female Self-Concept. Sex Roles, 61(11), 808-823. Burgess, M. C., Stermer, S. P., & Burgess, S. R. (2007). Sex, Lies, and Video Games: The Portrayal of Male and Female Characters on Video Game Covers. Sex Roles, 57, 419-433. CRIOC, (2011). Jeunes et Jeux vidéo. Retrieved from: http://www.oivo-crioc.org/files/fr/5744fr.pdf Dardenne, B., Delacollette, N., Grégoire, C., & Lecocq, D. (2006). Structure latente et validation de la version française de l’Ambivalent Sexism Inventory : l’échelle de sexisme ambivalent. L’année Psychologique, 106, 235-264. Dill, K. E. (2008). Do Anti-Social Video Games Foster Sexism and Violence Against Women? Research on Sexist and Pro-Rape Attitudes Among Gamers. Retrieved from https://drkarendill.files.wordpress.com/2008/09/sexist-and-pro-rape-attitudes-among-video-gamers-draft-2-karen-dill-pdf.pdf Down, E., & Stacy, L. S. (2010). Keeping Abreast of Hypersexuality: A Video Game Character Content Analysis. Sex Roles, 62, 721-733. Fox, J., & Potocki, B. (2015). Lifetime Video Game Consumption, Interpersonal Aggression, Hostile Sexism, and Rape Myth Acceptance: A Cultivation Perspective. Journal of Interpersonal Violence, 31(10), 1912-1931. Fox, J., & Tang, W. Y. (2014). Sexism in online video games: The role of conformity to masculine norms and social dominance orientation. Computers in Human Behavior, 33, 314-320. Glick, P. & Fiske, S. T. (1996). The ambivalent sexism inventory: Differentiating hostile and benevolent sexism. Journal of Personality and Social Psychology, 70(3), 491-512. Green, C. S., & Seitz, A. R. (2015). The Impacts of Video Games on Cognition (and How the Government Can Guide the Industry). Behavioral and Brain Sciences, 2(1), 101-110. Greitemeyer, T., & Osswald, S. (2010). Effects of Prosocial Video Games on Prosocial Behavior. Journal of Personality and Social Psychology, 98(2), 211-221. ISFE, (2012). Video games in Europe: consumer study (Belgium). http://www.isfe.eu/sites/isfe.eu/files/attachments/belgium_isfe_consumer_study_ 0.pdf. (2012). Stermer, S. P., & Burkley, M. (2012). Xbox or SeXbox? An Examination of Sexualized Content in Video Games. Social and personality Psychology Compass, 6/7, 525-535. Summers, A., & Miller, M.K. (2014). From damsel in distress to sexy superheroes: how the portrayal of sexism in video game magazines has changed the last 20 years. Feminist Media Studies, 14, 1028-1040. Yao, M. Z., Mahood, C., & Linz, D. (2010). Sexual Priming, Gender Stereotyping, and Likelihood to Sexually Harass: Examining the Cognitive Effects of Playing a Sexually-Explicit Video Game. Sex Roles, 62, 77-88.