La chevalerie française à l’épreuve de l’Italie

En partant conquérir le royaume de Naples ou la république de Gênes entre la fin du 14e et le début du 15e siècle, la noblesse française se trouva face à un nouveau défi. Celui d’une pratique de la guerre différente de celle des Anglais, mais aussi d’un monde que l’on disait être celui des mensonges et des duperies. Comment s’y comportèrent-ils, de quelle façon y firent-ils la guerre, comment s’y organisèrent-ils, voilà autant de questions dont les réponses corrigent largement ce que l’on croit savoir de la chevalerie française de la fin du Moyen Âge.

Mort de Bertrand Du GuesclinAu tournant des années 1370-1380, la guerre – que l’on n’appelle pas encore de Cent ans – qui oppose la France à l’Angleterre depuis près d’un demi-siècle connaît une de ses nombreuses phases d’accalmie. Après les succès initiaux du roi Édouard III, les armées commandées par le connétable Bertrand du Guesclin ont récupéré ce qui avait été perdu par les souverains français, et même sensiblement plus. Des deux côtés de la Manche, les nouveaux souverains, Richard II et Charles VI ne semblent pas particulièrement enclins à reprendre les armes ; ils signent d’ailleurs les trêves de Leulinghem en 1384.

Mort de Bertrand Du Guesclin lors du siège de Châteauneuf-de-Randon en Lozère en 1380
Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, vers 1455-1460 Paris, BnF
 

Toutefois, cette situation ne convient guère à la noblesse française qui a retrouvé avec ses dernières victoires la confiance qui lui manquait jusque là. Sûre de sa force, elle se cherche donc de nouveaux adversaires à combattre. Or, au même moment, la situation politique dans la péninsule italienne, et plus précisément dans le royaume de Naples – qui s’étend sur la moitié sud de la botte  – et dans la république de Gênes, qui commande la côte ligure, est particulièrement tumultueuse.

ReineJeanne de NaplesLa reine de Naples, Jeanne Ire, issue de la maison capétienne d’Anjou, n’a, malgré ses quatre mariages, pas d’héritier. Après avoir d’abord choisi l’époux de sa nièce, Charles de Duras, elle revient sur sa décision et adopte Louis Ier d’Anjou, un Valois, en 1380.

Jeanne 1re de Naples, Boccace. De mulieribus claris. BNF
 

À Gênes, les tensions entre les différents partis amènent la république à se donner au roi de France Charles VI en 1393, dans l’espoir que celui-ci parviendra à ramener la situation au calme. Vient s’ajouter à cette situation passablement tendue le Grand Schisme d’Occident. Après l’« exil » d’Avignon, les papes ont décidé de rejoindre leur véritable capitale, Rome. Mais les circonstances de l’élection d’Urbain VI, un Italien, et le comportement de ce dernier ont vite fait de lui susciter un rival en la personne du cardinal – francophone si pas francophile – Robert de Genève, élu sous le nom de Clément VII. L’Europe chrétienne va donc rapidement se clicher en deux, selon des choix qui sont tout autant, si pas plus, dictés par les option politiques que les convictions religieuses. Les papes d’Avignon trouveront ainsi leurs plus fervents soutiens en France, et surtout auprès des maisons d’Anjou et d’Orléans, dont ils financèrent en retour, au moins partiellement, les entreprises italiennes.

Aussi l’appel de la riche et prestigieuse Italie va-t-il agir comme un véritable aimant pour les chevaliers et écuyers français en quasi « chômage technique ». Louis Ier d’Anjou, de 1382 à 1384, et son fils Louis II, de 1390 à 1399 et de 1409 à 1411, vont ainsi tenter de prendre, les armes à la main, le royaume de Naples. Après avoir concédé la seigneurie de Gênes à son frère Louis d’Orléans, qui y fait conduire les premières entreprises militaires (1394-1396), le roi Charles VI déléguera ses propres lieutenants afin de faire régner l’ordre sur la turbulente cité et ses non moins turbulents alentours (1396-1410). CharlesVI et Isabeau de BavièreÀ leur suite se répandront en Italie des cohortes de combattants, nobles ou roturiers, adoubés ou espérant l’être, cavaliers ou arbalétriers, mais également des médecins, ou physiciens, des charpentiers, des prêtres et, plus largement, toute la population, hétéroclite et turbulente, qui s’agrège habituellement aux armées du temps.

Saint-Denis, Gisants de Charles VI et Isabeau de Bavière

 

Grâce aux sources conservées aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale, à Paris, aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône mais également dans les dépôts de l’Archivio di Stato de Gênes, Turin, Florence ou Sienne et de l’Archivio segreto Vaticano, il est possible de connaître assez finement la composition de ces troupes. Leurs capitaines ne sont pas véritablement des experts de la guerre italienne. S’ils ont été choisis, ce fut avant tout du fait de leur réputation à la cour, de France, d’Orléans ou d’Anjou, et de leur capacité à mobiliser autour d’eux d’importantes compagnies d’hommes d’armes. Tous, en fait, à l’exception de Louis II, firent leurs premières armes à l’époque de Charles V et des succès français contre les armées anglaises. Louis Ier fut l’un de ses principaux lieutenants, Enguerrand de Coucy, lieutenant du duc d’Orléans et du roi de France à Gênes, refusa l’épée de connétable à la mort de Bertrand du Guesclin, figure indissociable de celle de Charles V, tandis que les deux autres gouverneurs royaux de Gênes, Waleran de Luxembourg et Jean II le Meingre, dit Boucicaut, se signalèrent dès cette époque par leurs faits d’armes.

Page : 1 2 next