Nocturne de l’exposition Sophie Langohr, Something Precious (cycle Artistes à l’hôpital)

ImageChanelHautePour le quatrième volet de son cycle « Artistes à l’hôpital », le Musée en Plein Air du Sart Tilman a fait appel à la créatrice liégeoise Sophie Langohr dont l’exposition « Something Precious » est visible au CHU de Liège jusqu’au 2 juillet prochain. 
Visite commentée en nocturne ce jeudi 23 juin entre 18 et 20 heures en présence de l’artiste et de Julie Bawin, commissaire du cycle.

 Sophie Langohr, Image Chanel Haute Joaillerie de la série Something Precious, photographie noir et blanc, 2015.
Photo : Galerie Nadja Vilenne.
 

 

Sophie Langohr , créatrice de mystère(s)

Artiste touche-à-tout (sculpture, photographie, infographie etc), Sophie Langohr a déjà de nombreuses réalisations à son actif, primées dans le monde de l’art par différents prix et récompenses. Son travail, elle aime à le concentrer sur le corps et son image, sur les images virtuelles ou encore sur les codes de la publicité. En détournant les représentations et en transformant ce que l’on voit de manière parfois espiègle, l’artiste cherche – dans le grand ou l’infiniment petit – à définir le Beau et à en interroger sa cohérence et sa légitimité. Ainsi, il n’est pas rare, dans ses séries, que des images (pré)fabriquées d’aujourd’hui soient confrontées à la matérialité triviale des choses ou placées en vis-à-vis de témoins sculptés ou peints du passé (New Faces, Glorious Bodies). Le spectateur, parfois déstabilisé, joue alors sa part dans le questionnement du Sublime actuel. Où s’arrête le Beau ? Et le Réel ?

 

« Rien ne se perd, tout se transforme »

DraperiesPour cette exposition au CHU, Sophie Langohr a « semé » plusieurs intégrations discrètes  dans le complexe. Au niveau -3, dans le couloir qui mène à la verrière sud du CHU, le visiteur découvre par exemple un ensemble de photographies en noir et blanc qui répondent directement aux lambris que Sol Lewitt avait dessinés en son temps pour Charles Vandenhove. Pour ces clichés, la plasticienne a littéralement retourné des sculptures religieuses des 16e et 19e siècles pour exposer leur face du dessous, celle du socle, que l’on ne voit jamais. Le résultat est au rendez-vous : les patients et les membres du personnel s’étonnent, s’interrogent. « Qu’est-ce ? Que vois-je ? ». Abandonnées, les silhouettes familières des saints et martyrs : le spectateur ne peut se fier qu’à ces insondables formes abstraites, organiques, parfois anguleuses. « J’aime bien partir du figuratif pour créer de l’abstrait, du mystère, des questions… » souligne l’artiste.

Les drapés de Sophie Langohr dans la Grande verrière du CHU.
Photo : S. Reynders.
 

Pour sa première exposition de sculptures, conçues spécialement pour l’occasion, Sophie Langohr a également réparti dans la petite verrière du CHU des formes interpellantes, des « embryons » de statues asexués, présentés sur des hauts piédestaux. Ces rondes-bosses étranges reproduisent, tantôt en bois, tantôt en plâtre ou en céramique l’intérieur des mêmes statues religieuses, laissées vides par les sculpteurs de jadis par souci d’économie ou de manutention. L’œil attentif distinguera encore ci et là quelques vestiges d’un ventre rebondi, d’une main ou de torses sacrés, désormais dépouillés de tout caractère dévot…

sophieLanghor

De g à d : Sophie Langohr, Sculpture sur plâtre, d’après le moulage intérieur de Vierge à l’Enfant (plâtre polychrome, fin du 19e siècle, Liège Grand Curtius), 2016. Photo : Jean-Luc Deru. - Sophie Langohr, Sculpture sur chêne, d’après le moulage intérieur de Vierge assise avec l’Enfant (chêne sculpté polychrome, milieu du 14e siècle, Liège Grand Curtius), 2016. - Sophie Langohr, Immaculée Conception, bois sculpté peint, 19e siècle, Liège, Grand Curtius, photographie noir et blanc, 2016.

 

Il faut parfois déconstruire pour reconstruire. En détournant des clichés de joaillerie de luxe en noir et blanc dans sa série éponyme Something Precious, Sophie Langohr s’attache à « gommer les perfections » et à transformer les pierres précieuses de fins bijoux en masses méconnaissables, retournées à l’état de matière minérale. Cet ensemble qui rythme les cimaises de la verrière, pousse à révéler la part d’organique de toute chose, ce qui n’est pas sans rappeler la démarche des images d’examens médicaux que l’on fabrique dans les hôpitaux.

 

SophieLanghor-scanSte BernadetteUne collaboration fructueuse avec le CHU de Liège et le Curtius

Forte de sa collaboration avec le CHU de Liège et le Musée Curtius, l’exposition étonne aussi par les différents moyens dont elle a bénéficié. C’est le cas notamment pour une projection vidéo, réalisée sur base de scanographies tomodensimétriques effectuées par les services de radiographie de l’hôpital sur une statuaire prêtée par les Musées de Liège. Le résultat est une séquence de 4 minutes qui, dans un mouvement qui évoque le lent mouvement de cellules vivantes, déploie et fait onduler les formes blanches des profils scannés d’un Christ, d’une sainte Bernadette et d’un saint Joseph.

Statue de sainte Bernadette en préparation
pour un scan tomodensitométrique. Photo S. Reynders
 

En remontant vers la Grande Verrière, on découvre encore plusieurs réalisations éparpillées dans l’institution, parmi lesquelles une impressionnante impression sur bâche, installée par le CHU au sommet des escalators, ainsi que des reproductions adhésives installées sur plusieurs hautes fenêtres qui, toutes, font la part belle à des jeux de drapés, motifs chers à l’artiste (séries Drapery, D’après Jean Delcour etc).

Et Sophie Langohr de conclure sur ce partenariat insolite : « C’était vraiment une expérience incroyable ».

 

 

 

 Stéphanie Reynders
Juin 2016

 

 

crayongris2Stéphanie Reynders est historienne de l’art et conservatrice du Musée en Plein Air du Sart Tilman

 

 

 

Bibliographie
-Julie BAWIN, Sophie Langohr, Something Precious, livret d’exposition, Liège, avril 2016.
-Julie BAWIN (dir), Sophie Langohr, Something Precious, dans Liège Museum, Liège, avril 2016.
-Jen D., Sophie Langohr, chirurgienne de l’image, dans Le Patient n°3, Liège, avril 2016, p. 14.
-Lino POLEGATO, Intro Verso, Sophie Langohr au CHU, mai 2016, disponible en ligne sur http://flux-news.be.
-Stéphanie REYNDERS, Sophie Langohr, Something Precious, dans Le 15e jour, Liège, avril 2016.   
-Galerie Nadja VILENNE, Sophie Langohr, Something Precious, CHU Liège, les images, mai 2016, disponible en ligne sur www.nadjavilenne.com