Pierre Senges, Veuves au maquillage

SengesLe temps des suicides héroïques ou shakespeariens est révolu, il est désormais possible de concéder son droit de vie à autrui, et qui plus est avec originalité : mourir assassiné, n’est-ce pas là l’ultime caprice d’un dépressif dégonflé ?  Pour y parvenir, le narrateur de Veuves au maquillage ne lésine pas sur les moyens et il lui faudra côtoyer simultanément six veuves homicides susceptibles de récidiver sur sa personne afin d’augmenter ses chances de mettre fin à sa triste vie de faussaire. Malheureusement, miser gros protège rarement de la défaite, et les veuves se révèlent rapidement inoffensives. Convoquées dans le gynécée du suicidaire attentiste, elles accepteront de participer à son projet fou : à l’instar de cet astrologue et pornographe chinois qui mourut découpé en morceaux et dont le narrateur cherche à s’inspirer, les veuves deviendront d’habiles taxidermistes. S’engage alors un long processus de coupes et découpes sanglantes qui, petit à petit, feront de notre narrateur un jeu de pièces détachées. Cette mise en scène du sacrifice sera également l’occasion d’explorer les méandres de l’histoire et de la littérature puisqu’à chaque coup de scalpel doivent se tisser de fabuleuses anecdotes.

Veuves au maquillage, ou journal d’un martyr, a beau être le premier roman de Pierre Senges, il n’en est pas moins très abouti : tour à tour érudit, cynique, excentrique, libertin exotique et anatomique, son éclectisme n’a de pareil que sa grande subversion. En effet, quelle prouesse de concilier en un même personnage victime, bourreau et greffier du démembrement ; et quel délice de se laisser berner par les pouvoirs de la fiction en se faisant témoin consentant de l’imposture !

 

Irène Lazzari

Pierre Senges, Veuves au maquillage, Points, 2002 [Verticales, 2000]
 

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Storytelling et fictions contemporaines
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