Lyonel Trouillot, Kannjawou

Trouillot-KannjawouLe roman Kannjawou, tout récent, est porté par l’antagonisme et le ressentiment, même si celui qui parle est imprégné d’amour et de compréhension, même quand il est horrifié par l’intolérance militante d’un ancien camarade de rêve. La présence des ONG et de la MINUSTAH est perçue comme une deuxième occupation, moins sanglante, moins ouvertement violente que la première, l’occupation étatsunienne de 1914 à 1935, mais tout aussi pernicieuse et délétère. Ici, malgré toute la sagesse de Man Jeanne, les Haïtiens sont orphelins de leur avenir, de même que le mot même qui désigne la grande fête est devenu le nom d’un bar qui attire les expatriés en mal d’expériences ‘authentiques’.

TrouillotLe roman La belle amour humaine, en trois parties, se passe sur la route et dans le petit village d’Anse-à-Fôleur, où chacun se connaît, où tout se partage, loin de la compétition harassante de la capitale, décrite en termes de bruits cacophoniques dans les premières pages. Nous sommes ici dans la simplicité fraternelle, et quand le vieil oncle meurt, c’est une grande fête qui rassemble toutes les générations sur la plage, dans la gaité de la vie, avec au centre la danse et le chant. C’est là pourtant que deux tristes sires, un mulâtre marchand retors et un noir devenu colonel  à force de brutalité, amis improbables, ont fait construire leur deux maisons jumelles. C’est là qu’ils périssent l’un et l’autre, la nuit où simultanément leurs demeures s’embrasent. Nous le savons par ce que raconte Thomas, le chauffeur de la jeune Anaïse, venue de son pays du Nord pour retrouver quelque chose de son père, le fils du marchand mulâtre, qui cette nuit de l’incendie avait trouvé le goût du bonheur. C’est un texte délicat, tout en retenue et en pudeur, qui se termine par la description de cette grande fresque du bonheur possible que dessine le neveu sous la dictée du peintre devenu aveugle, ‘la belle amour humaine’, que sans cesse contrarie le spectre de la violence et de la cupidité. Mais non, ils sont partis en fumée. « Que dira-t-elle à sa mère, à ses copines ? . . . qu’au bout de son voyage elle aura rencontré la superbe, criminelle, naïve, contagieuse et si simple obsession d’un devoir de merveille ? »

Christine Pagnoulle

 

 

Lyonel Trouillot, Kannjawou, Actes Sud, 2016, 192 p.
Lyonel Trouillot La belle amour humaine, Actes sud, Babel, 2013, 176 p.
 

Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs

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