John Maxwell Coetzee, Une Enfance de Jésus

CoetzeeUn an avant de recevoir le Prix Nobel de littérature, l’écrivain contemporain J.M. Coetzee a choisi l’exil : né et longtemps établi en Afrique du Sud, il s’est installé en Australie en 2002, acquérant la nationalité australienne en 2006. Il n’est d’ailleurs pas impossible, dans une certaine mesure, de considérer la place centrale qu’occupent les thèmes de l’exil et du déplacement dans les œuvres produites lors de sa période australienne comme une conséquence de sa propre migration.

En particulier, Une Enfance de Jésus (2014), son dernier roman en date, peut être vu comme une allégorie de la migration : après un voyage en mer (par lequel ils ont fui un enfer inconnu), un jeune garçon et un homme d’âge moyen débarquent dans un pays étranger, où ils sont lavés de tout souvenir et dotés d’une nouvelle identité. Cette amnésie forcée, qui fait dépendre leur inclusion dans une société nouvelle de l’effacement de leur propre passé et de leurs différences culturelles, a toutefois un prix. Bien que les autorités locales se chargent de subvenir à leurs besoins élémentaires, la vie qu’ils mènent au Centre hispanophone qui les accueille (le bien nommé Novilla) est fade et sans saveur, comme dénuée de sens et de substance. Simón, dit el viejo, reste hanté par l’idée même de mémoire et peine à s’adapter à cette réalité sans histoire ni profondeur, semblable à une surface plane ou à une mer étale, dans laquelle le présent ne se conçoit pas comme une extension du passé. Souffrant d’un manque indéfinissable, il semble attendre la venue d’un messie qui le sauverait de cet univers sans foi, où une bienveillance tiède l’emporte sur tout désir ardent. Il prend sous son aile le jeune David, qui a égaré au cours de la traversée en bateau la lettre recelant la clé de ses origines, et se met en tête de retrouver la mère de cet enfant prodige, qui, privé de repères, tend à se réfugier dans un monde imaginaire.

Il est évidemment tentant de lire ce roman dégraissé jusqu’à l’os comme une critique du traitement déshumanisant que les sociétés occidentales modernes réservent aux migrants et aux demandeurs d’asile. Dans cette fascinante épure, qui offre également une méditation sur la foi à travers une réécriture du mythe biblique, Coetzee pose – sur un mode allégorique – des questions essentielles de notre temps (comme celles de la filiation, de la transmission des héritages culturels ou de l’intégration de groupes migratoires minoritaires à une civilisation donnée), tout en laissant à ses lecteurs le soin d’y répondre. En suggérant que l’oblitération de l’histoire et des spécificités culturelles, de même que l’obligation de se conformer à des modèles sociaux aliénants, ne peuvent qu’entraver le processus de (re)construction identitaire, condamnant les êtres à une perpétuelle fuite en avant, c’est bien la nécessaire incorporation de l’altérité dans des paradigmes socio-historiques alternatifs que l’auteur semble, salutairement, interroger.

 

Marie Herbillon

 

John Maxwell Coetzee, Une Enfance de Jésus, Trad. Catherine Lauga du Plessis, Seuil, Cadre vert, 2013, 377 p.
 

Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs

<<< Précédent   •   Suivant >>>