« La dernière fois qu’on nage, on ne le sait pas », chantait Bertrand Belin dans « Peggy », un morceau de son avant-dernier album Parcs (2013). Ce n’est pas ce que doit se dire Marc, le narrateur et protagoniste de son premier roman, Requin (2015), alors qu’il se regarde se noyer dans le contre-réservoir de Grosbois, en Dordogne, sur les berges duquel sa compagne (également prénommée Peggy) et son fils Alan ne voient rien du drame qui est pourtant en train de se jouer sous leurs yeux. En laissant son personnage principal s’enfoncer dans les profondeurs de ce lac artificiel, Belin crée de toutes pièces un dispositif littéraire qui lui permet de dilater arbitrairement l’instant de la mort : avant de rendre l’âme, la victime de cette manœuvre dilatoire est plongée de force dans les eaux parfois troubles de son passé et contrainte, par exemple, de se remémorer cette terrible nuit de 1986 au cours de laquelle elle pêcha du lait dans le port de Dieppe. L’histoire serait pour le moins sinistre si le tragique n’y côtoyait pas sans cesse le comique (Belin a un sens de l’humour décapant), ainsi qu’une certaine beauté – celle, mystérieuse, de la vie et de la langue. Car Belin, qu’il porte la casquette du chanteur ou de l’écrivain (il a publié un premier livre, Sorties de route, en 2011), est avant tout un auteur d’une élégance racée, poétiquement guidé par le mot autant que par l’idée et dépourvu de ce qu’il nomme « l’obsession de la rentabilité narrative » : la langue est pour lui une pâte aussi humide que ses atmosphères, qu’il malaxe pour lui donner forme et mouvement, jusqu’à ce qu’apparaissent ici une ruine drapée dans la bruine, là une silhouette se mouvant sous une pluie folle. Avec Requin, le Quiberonnais cultive encore son insularité, en distillant cette voix à la fois grave et légère, mais toujours singulière, qu’on a récemment entendue sublimer les espaces fantasmés de son dernier album, Cap Waller (2015).
Marie Herbillon
Bertrand Belin, Requin, P.O.L., 2015, 192 p.
Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs
<<< Précédent • Suivant >>>