Peu après le suicide d’une amie commune, un écrivain viennois croise, dans une rue fréquentée de la capitale autrichienne, un couple phare de la vie mondaine locale qu’il était parvenu à éviter durant de très nombreuses années et se trouve dans l’incapacité de refuser leur invitation à dîner en compagnie d’autres membres de leur ancien cercle. Assis dans une bergère à oreilles, le narrateur de Des Arbres à abattre (1984), de Thomas Bernhard, passera la plus grande partie de cette soirée de retrouvailles à attendre l’arrivée d’un célèbre acteur de théâtre et, surtout, à se livrer, en misanthrope solitaire, à une réflexion sans concessions sur les destins croisés des convives (et particulièrement sur les relations que chacun de ces artistes entretenait avec la disparue) dans la Vienne des années cinquante. Caractérisé par son absence de chapitres, ce roman-fleuve dresse le portrait au vitriol d’une « ville cannibale », apparemment dotée d’une propension à entraîner ses élites culturelles dans ce que Bernhard décrit comme un intolérable enfer social – un texte à la fois hilarant et poignant par le biais duquel l’auteur subvertit de l’intérieur les valeurs profondément bourgeoises (notamment les prétentions artistiques) d’une société qu’il connaissait par cœur et dont il n’a cessé de pourfendre, avec une férocité parfois teintée d’affection, les échelons supérieurs.
Marie Herbillon
Thomas Bernhard, Des Arbres à abattre, Trad. Bernard Kreiss, Folio, 1998, 232 p.
Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs
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