Comme tout nouvel élu à l'Académie française, Amin Maalouf a rendu hommage à son prédécesseur, le célèbre anthropologue Claude Lévi-Strauss. En préparant son discours, il a regretté de ne pouvoir, faute de temps, rendre aussi hommage à un prédécesseur plus ancien, et moins connu, dont il avait utilisé les travaux dans son ouvrage Les Croisades vues par les Arabes. Décidé à écrire ce qu'il n'avait pu dire, Maalouf a finalement retracé la lignée des personnes, il y en a 18, qui se sont succédé au fauteuil n° 29, qui est maintenant le sien. Outre Lévi-Strauss, cette lignée comporte quelques célébrités: Claude Bernard, Ernest Renan, Henry de Montherlant, pour lesquels l'auteur rappelle bien sûr les origines de cette renommée mais ajoute aussi des détails peu connus qui rendent ces sommités plus attachantes, plus humaines.
Reconnaissons cependant que, malgré leur surnom d'Immortels, bien des académiciens n'ont pas laissé trace dans nos mémoires. "Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !" fait dire Edmond Rostand à un personnage de son "Cyrano de Bergerac" ... après avoir cité quelques Immortels complètement inconnus. (L'Académie, peu rancunière, accueillera Rostand trois ans plus tard.)
Maalouf traite les oubliés aussi bien, sinon mieux que les sommités; c'est le plus grand charme de ce livre. La précision scrupuleuse de l'historien n'empêche pas le talent du romancier de s'exprimer, et de rendre leur pleine humanité à des personnes qui ont dans nos mémoires moins de réalité que bien des personnages de roman. Maalouf redore aussi le blason de ceux qui furent célèbres mais ne le sont plus guère, tel le cardinal de Fleury qui dirigea de fait la France pendant près de vingt ans, avec plus de talent, d'après Valéry Giscard d'Estaing, que les cardinaux Richelieu et Mazarin.
Ce livre diffère des biographies romancées qui ont contribué au renom d'Amin Maalouf mais le talent tout particulier qu'a l'auteur pour donner vie à ses personnages s'y exprime pleinement. Et est-ce par hasard que le superbe tableau ornant la couverture du livre n'est pas de Raoul Dufy, mais de son frère Jean, bien moins connu ?
Pour passer (positivement) à la postérité, entrer à l'Académie française n'est pas la meilleure manière; attirer l'attention d'Amin Maalouf est plus efficace!
Pascal Gribomont
Amin Maalouf, Un fauteuil sur la Seine, Grasset, 2016, 336p.
Lectures pour l'été 2016
Essais, Documents, Non-fiction
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