Geneviève Peigné, L'interlocutrice

PeignéL’Interlocutrice de Geneviève Peigné est un très beau livre, dans tous les sens du terme : le texte, précis, original, touchant de sobriété, est servi par un objet-livre travaillé avec soin, de la couverture à la jaquette en passant par l’intérieur de chaque page, dont la disposition est visiblement réfléchie. Texte et livre ont d’ailleurs la particularité d’être indissociables : le bel objet-livre n’est nullement un ornement ajouté à un beau texte : il participe à l’existence même du récit.

De quoi s’agit-il ? Odette, la mère de la narratrice, souffrait, durant ses dernières années, de la maladie d’Alzheimer, ce qui l’a coupée du monde, notamment de sa fille. Mais elle s’est inventé un moyen de communication, à la fois minimal et exubérant, en écrivant dans les livres qu’elle lisait, répliquant aux personnages, ou répétant inlassablement les douloureuses associations de mots qui surgissaient dans son esprit au hasard de la lecture. Ainsi, les romans policiers de Simenon ou d’Exbrayat ont-ils trouvé une exégèse tout à fait inédite, bouleversante, et existentielle, qui prouve une nouvelle fois, si besoin était, que la littérature appartient autant aux lecteurs qu’aux écrivains.

Mais il se fait que la fille d’Odette est écrivaine, elle aussi. Et c’est après la mort de sa mère qu’en rangeant sa bibliothèque, elle découvre les volumes commentés. À la communication impossible entre Odette et Maigret ou Imogène, se superpose un second dialogue, qui se noue entre la mère et la fille, par-delà la mort et la maladie cérébrale. Dialogue vain, frustrant, mais honnête et riche par lui-même, bien qu’il ne puisse hélas ! déboucher sur de vraies retrouvailles.

Le récit proprement dit, dans lequel Geneviève Peigné analyse les propos de sa mère, est interrompu par les clichés des pages annotées d’une écriture altérée mais lisible. Ainsi une sorte d’égalité discursive s’établit, dans le livre, entre mère et fille. Le sujet très grave dont il est question ici est donc abordé de façon à la fois directe et indirecte, pudique et impudique, sans pathos, mais avec émotion.

Laurent Demoulin

Geneviève Peigné, L'interlocutrice, Éd. Le nouvel Attila, 2015, 120 p.
 

Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs

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