Jean Échenoz, Envoyée spéciale

EchenozÉchenoz est un romancier du roman. Quoi qu’il imagine et produise, ses romans parlent du roman. Pas que de ça : d’amour, de désir, de destin, de relations. Mais aussi du roman. Au point qu’on disait de ses premiers opus que chacun parodiait un sous-genre : l’aventure, le policier, l’espionnage, etc. en gauchissant toujours les codes officiels. Après quelques brefs romans récents où il explorait une veine biographique bien dans l’air du temps (un peu comme du biopic littéraire), voici qu’il revient à ses premières amours, en réintroduisant dans sa manière l’humour, le décalage, le jeu. C’est un clin d’œil manifeste à ses lecteurs fidèles, une connivence. En tout cas, je la goûte comme ça. Comme à ses débuts, Échenoz joue avec les codes, les attentes, du lecteur, les clichés, pour les déjouer, les pervertir, les enchanter. Les sentiments des personnages ne sont pas là où on les attend, ce qui les meut est soumis au hasard, à l’incertain, les coups du destin sont capricieux, les intrigues, les enjeux sont capitaux ou dérisoires et s’inversent. Le rôle du hasard (les rencontres, les coïncidences) est toujours à la limite de l’absurde ou du téléphoné.

Pourquoi ? On pourrait ne pas adhérer à ce genre de roman, voire le détester, et n’y voir que de l’amusement gratuit. Certes, il n’y a ni grande question traitée à travers la fiction, ni réflexion psychologique profonde, ni thèse, ni rien de ce qui légitime le roman depuis plus de deux siècles. Mais justement, un tel roman pose deux ou trois affirmations capitales. 1. Écrire et lire sont un jeu, que partagent l’auteur et le lecteur. 2. Le roman est un artefact, où règne un dieu, l’auteur, qui peut feindre de se cacher derrière un autre, le hasard ou l’absurdité (de la condition et de la conduite humaines). 3. Lire des romans ne dispense pas de se demander pourquoi on en lit, et un tel roman, par sa part ludique, parodique et dérisoire, nous tend un miroir. C’est donc un roman fait pour le lecteur. À lui d’y prendre plaisir.

Pour le reste, ça raconte quoi ? L’histoire improbable, rocambolesque et sans cesse déjouée d’une femme qu’on kidnappe pour en faire un agent secret, puis sa mission, et… Je ne vais pas dévoiler la fin : ce roman est quand même un roman (est surtout un roman). Et comme c’est un roman du plaisir du roman, gardons-le entier jusqu’au bout.

Gérald Purnelle

Jean Echenoz, Envoyée spéciale, Minuit, 2016, 312 p.
 

Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs

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