Le narrateur du Carré des Allemands est un homme dont la presbytie trahit les ans et qui loge dans une « cuisine-cave » avec vue sur le trottoir. Claquemuré dans cette pièce, il observe, à travers l’écran de sa fenêtre, les passants en rue et les visiteurs de l’hôpital psychiatrique d’en face. En retrait permanent, il ne fuit pas pour autant : il cherche. Lui, l’« engeance de malheur », est en quête de sa propre identité, mais surtout de la figure paternelle, de l’absent. « Tu lui ressembles tant. » Cette phrase massue, assénée à de multiples reprises, charrie son lot de mystère et de culpabilité. Et lamine l’âme.
Mû par l’appel du vide, le « je » tente alors (vainement) de reconstruire cette dimension qui lui échappe. Suivant les sinuosités d’un passé boueux, il se crotte à garder la trace d’un père dont la destinée a été infléchie par un engagement auprès des « Boches » à l’âge rimbaldien du non-sérieux. Et, si l’uniforme ne fait pas le Waffen-SS, il marque néanmoins une frontière invisible séparant ceux qui sont et ceux qui s’efforcent à être…
Jacques Richard sonde, au fil de cinq carnets, les rapports filiaux, les fardeaux honteux, les destins souillés. Dans une prose sobre, il brouille, par des formules désarmantes de justesse et des silences suspendus, les portraits d’un père et d’un fils.
Samia Hammami
Jacques Richard, Le Carré des Allemands. Journal d’un autre, Éditions de la Différence, 2016, 146 p.
Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs
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