Voici que reparaît, dix ans après sa sortie initiale, dans une version définitive, Le songe d’Empédocle. Un titre hexamétrique, sur les spondées et les dactyles duquel plane une brume magique, et qui, voile de soie posé sur le marbre d’une colonne, caresse l’imaginaire. Pourtant, la période dans laquelle nous sommes plongés n’est en rien apaisée. Immersion totale dans la fin d’un XXe siècle désorienté, à côté de ses pompes et donc moins uchronique que parachronique, aux allures de Kali Yuga – l’âge sombre selon la tradition védique. Au programme : « déclin des codes », « triomphe de l’autolâtrie infantile » et de l’individualisme hors-limite, relations interpersonnelles hypertendues, nivellement qui constitue la norme… « Ballottés dans une agitation aussi permanente que stérile, les individus […] se voyaient sollicités sans répit, sommés d’assouvir dans l’instant les pulsions les plus grossières, les besoins les plus artificiels. Le règne de la marchandise faisait croître les conflits à un rythme intolérable pour instaurer un climat de guerre civile […]. L’afflux d’or facilitait le processus d’involution, permettant d’une part aux élites en place de justifier leur tyrannie, de l’autre aux éléments les plus dénués de goût d’imposer leurs lubies. »
On le constate, la non-fiction de Gérard permet de détailler la doublure peu reluisante des oripeaux dont se pare la modernité triomphante. Pour échapper à cet étouffoir spirituel, le jeune Padraig décide de reprendre le chemin menant aux sources de la sagesse perdue, de la force intérieure aussi. Le parcours initiatique qu’il entreprend, à travers l’enseignement de maîtres présents et passés, dans les rayons de labyrinthiques bibliothèques, vers les centres névralgiques de la vieille Europe (Rome, la Grèce) et les rives du Gange, transforme le jeune garçon. Le pas définitif vers la gnose sera franchi avec l’entrée dans la phratrie des Hellènes, où le novice renaît et se voit rebaptisé Oribase, du nom du médecin et confident de l’Empereur Julien…
Mais une telle fatrasie de runes, d’oracles, de temples et d’invocations au sol invictus ne s’avère-t-elle pas au final rédhibitoire ? Et faut-il avoir au préalable digéré les œuvres complètes d’Éliade, Dumézil et Jünger pour prétendre pénétrer les arcanes disposés sous nos yeux ? Certes, dégainé sur une plage d’Ibiza, Le Songe d’Empédocle est un mauvais plan drague ; il se déguste plus sûrement dans le silence de quelque église baroque impolluée de touristes. Nul besoin, toutefois, d’être érudit pour l’aborder ; la vertu de curiosité et la volonté d’éveil suffiront. Alors, sur le chemin du mythe semper redivivus, Christopher Gérard vous emmènera dans ce parage où lui évolue, depuis la nuit de son temps, avec une élégance naturelle et une insolente intelligence : Ailleurs.
Frédéric Saenen
Christopher Gérard, Le Songe d’Empédocle, L’Âge d’homme, Collection « Contemporains », 2015, 341 p.
Lectures pour l'été 2016
Romans, nouvelles et récits fictifs
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