Si la création de Bernanos n’a rien à voir avec le genre fantastique, il n’en demeure pas moins que le tour a priori réaliste de ses récits débouche toujours sur une dimension cachée, rendue puissamment attractive par le mystère nodal qu’elle recèle. Qu’ils entrent en dialogue avec Satan au bord d’un chemin boueux, qu’ils soient investis de voix intérieures, qu’ils expérimentent le divin, la sainteté, voire le miracle, les personnages de Bernanos sont en prise avec des forces supérieures d’autant plus tourmentantes qu’elles émanent de leur âme.
Monique Gosselin-Noat a pénétré avec une acuité rare les énigmes que constitue chacun des principaux titres de Bernanos. Ses lectures de Sous le soleil de Satan, Journal d’un curé de campagne, La Joie, L’Imposture, Nouvelle histoire de Mouchettesont autant de plongées au cœur du vertige Bernanos. Elles s’ouvrent sur une mise en lumière des contextes de rédaction et de publication ainsi que sur un examen philologique du texte. Ce dernier aspect de sa démarche lui permet de répondre à d’intéressantes questions, rarement soulevées ailleurs que dans des notes de bas de page ou d’appareil critique : par quoi fut guidé le choix de tel titre ? quelles leçons tirer des fins multiples envisagées par l’écrivain ? Elle revient également sur les diverses veines d’écriture dont Bernanos fut le tenant – jamais le serf exclusif –, par exemple quand elle souligne les aspects naturalistes, surréalistes, expressionnistes ou réalistes magiques de certains portraits et scènes.
Mais la part la plus impressionnante de son apport réside sans doute dans le chapitre consacré au « cas-limite »de Monsieur Ouine, roman réputé difficile quand ce n’est illisible, et que Monique Gosselin-Noat rend accessible sans jamais céder à la simplification. La force de Bernanos, dans ce chef d’œuvre saturé de noirceur, est d’avoir refusé de faire l’économie du Mal dans l’approche du problème humain. Bernanos était conscient que la béatitude n’est pas de ce monde, pétri de doutes, d’angoisses, de violence… Mais c’est justement de ce sombre terreau qu’il comptait fait germer les plus belles boutures de l’Espérance, vertu théologale.
Frédéric Saenen
Monique Gosselin-Noat, Bernanos, romancier du surnaturel, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2015, 260 p.
Lectures pour l'été 2016
Essais, Documents, Non-fiction
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