Paul Aron et Jean-Pierre-Bertrand, Anthologie du surréalisme belge

AronL’anthologie établie par Paul Aron et Jean-Pierre Bertrand est un outil idéal pour découvrir mais aussi enseigner le surréalisme belge, qui fut peuplé d’individualités fortes et attachantes jusqu’en ses derniers prolongements, dans les années 70.

La facilité aurait consisté à ouvrir le ban avec Paul Nougé qui, s’il ne tint pas la position dirigiste, quasi « papale », d’un André Breton en France, insuffla au mouvement son caractère expérimental et son esprit radicalement subversif. Mais les auteurs ont préféré laisser la parole à un témoin capital, le musicien André Souris, qui, en 1966, prononçait aux Entretiens de Cerisy une conférence où il revenait sur les ferments du surréalisme en Belgique. Il y relatait notamment comment, le 22 novembre 1924 – soit une semaine avant la publication de la Révolution surréaliste à Paris –, les premiers tracts colorés de la série Correspondance furent mis en circulation. Cette série de vingt-deux textes à valeur programmatique, « au tour allusif, précieux, parfois sibyllin, légèrement inquiétant », allait ouvrir la voie à l’expression d’une constellation de créateurs tous plus originaux les uns que les autres. « Nous nous proposions, explique Souris, de disqualifier l’art moderne, mais en même temps de faire naître, à partir des moyens que nous mettions en œuvre, un climat poétique émanant moins des formes elles-mêmes que de la nature de leur confrontation. » Dès lors, les surréalistes belges n’auront de cesse de faire se percuter les mots et les images, dans un souci d’interrogation du « mystère » qui culminera avec la réflexion picturale d’un René Magritte.

Le volume est découpé en strates : une présentation bio-bliographique pour chaque auteur, puis un choix de textes, chacun précédé d’une utile notice de contextualisation. Pour le plaisir de l’œil, quelques documents sont reproduits à l’original, ou du moins dans le respect de leur dynamique typographique. On en apprendra donc beaucoup sur l’influence vernienne dans la nouvelle « La clé des songes » de Mariën, sur l’inspiration de Nougé pour la composition de ses détournements poétiques de messages publicitaires (c’est la vue des hommes-sandwichs qui lui en aurait soufflé l’idée !), sur les jugements mutuels des surréalistes (ainsi Chavée taxa-t-il d’« exécrables » les tracts de Magritte L’imbécile, L’emmerdeur et L’enculeur). Louons également les auteurs d’avoir ménagé une belle place à la prose sublime d’Aux soleils de minuit, roman signé en 1928 par le grand oublié Albert Valentin.

Nougé s’exclamait « Nous cherchons des complices » ; tout lecteur qui fréquentera cette anthologie en deviendra immanquablement un.

 

Frédéric Saenen

 

Paul Aron et Jean-Pierre-Bertrand, Anthologie du surréalisme belge, Espace Nord 339, 2015, 350 p.
 

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