Les meilleures enquêtes criminelles se lisent, paraît-il, comme des romans. Un macchab, un (ou des) tueur(s), un modus operandi, un mobile, des zones d’ombre, et voilà pour une intrigue qui devrait tenir le lecteur en haleine jusqu’au dénouement. Mais dans le cas présent, l’affaire se complique d’une toile de fond labyrinthique. Car le 18 août 1950, le cadavre qui gît dans une mare de sang, abattu dans l’entrée de sa maison sise sur les hauteurs de Seraing n’est autre que celui du charismatique leader communiste Julien Lahaut ; ses assassins sont sans doute des militants, mais n’appartiennent-ils pas à son propre bord politique ? ; l’action se déroule en quelques minutes à peine, avec la détermination caractéristique des commandos ; le mystère demeurera entier pendant des décennies.
Il n’a pas fallu de trop avec trois auteurs pour s’atteler à ce Qui a tué Julien Lahaut ?, une question rémanente dans notre mémoire collective. Ce n’est pas la première fois qu’un ouvrage est consacré à ce dossier qu’une ordonnance de non-lieu avait pourtant clos en 1972 : en 1985, Étienne Verhoeyen et Rudi Van Doorslaer s’étaient emparés du sujet suite à diverses révélations journalistiques. Il faudra attendre 2008 pour que le Sénat demande la mise en lumière définitive de cette affaire et confie le travail aux experts du CegeSoma (Centre d’études et de documentation Guerres et Sociétés contemporaines).
Au terme d’un colossal travail de dépouillement et de recoupement d’archives, les chercheurs sont arrivés à des résultats qui ont valeur de réponse. Au-delà de la confirmation de l’identité des tireurs (déjà connue), ils établissent l’importance du contexte idéologique qui a conduit, pour ainsi dire fatalement, à la mort de Lahaut. Longtemps, et c’était la solution la plus commode, on a cru que le fort en gueule était tombé pour avoir crié « Vive la République ! » dans l’hémicycle du Sénat au moment où le jeune Baudouin accédait au trône ; il est désormais patent que Lahaut a été liquidé par les membres d’un réseau anticommuniste particulièrement actif. En somme, c’est la Guerre froide qui a abattu de sang froid le Jaurès belge.
Frédéric Saenen
Emmanuel Gerard, Widukind De Ridder, Françoise Muller, Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres de la guerre froide en Belgique, Renaissance du Livre, 2015, 350 p.Lectures pour l'été 2016
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