Je ne pouvais pas espérer mieux : j’aime Herman Melville depuis mon adolescence et, enseignant la sociologie urbaine en faculté d’architecture, je considère Lewis Mumford comme un des plus passionnants historiens de la ville et de la civilisation. J’ai donc lu avec beaucoup d’intérêt et même beaucoup de bonheur, l’homme qui (en 1929) avait lu l’homme qui avait imaginé Moby-Dick, ce livre qui me hante depuis près de quarante ans. S’écartant volontairement de tout académisme, Mumford raconte si bien Melville qui raconte si bien la mer, jusque dans ses profondeurs abyssales, les plus métaphysiques. C’est une vraie rencontre : celle de deux esprits, l’essayiste naît en 1895 quand l’écrivain vient de mourir. Le premier partage avec le second une même interrogation qui tourne à l’obsession - dans les romans de l’un et les essais de l’autre -, indice d’un malaise dans la culture : la question de l’homme, du sens de la vie, de la civilisation occidentale…
Le texte de Melville est partout dans le texte de Mumford au point que ceux-ci semblent se confondre, trouble revendiqué (« j’ai librement fait appel à Melville, chaque fois que je le pouvais, souvent sans guillemets» ) , comme pour mieux nous mener en bateau dans le texte d’une vie peu banale, celle du « plus grand écrivain d’imagination que l’Amérique ait enfanté » (Je cite encore Mumford).
Cette biographie dépasse évidemment les limites du genre, car le critique en profite pour nous parler beaucoup d’architecture et d’histoire urbaine. On y découvre, par exemple, une toute autre New York, celle du XIXe S, bien avant qu’elle ne devienne la capitale mondiale de la modernité. Sans doute n’en attendait-on pas moins de l’auteur de La Cité à travers l’Histoire.
Stéphane Dawans
Lewis Mumford, Herman Melville, trad. Nicolas Blanc-Aldorf, Fanny Tirel, Patrick Chartrain et Irénée D. Lastelle, Éd. Sulliver, 2006, 412 p.Lectures pour l'été 2016
Essais, Documents, Non-fiction
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