Depuis le 5 mai 2016, la Cité ardente a renoué avec un vieil ami : le très attendu Musée La Boverie, flambant neuf après une rénovation d’envergure.
Le musée vu de la roseraie. ©Rudy Ricciotti
Photo Marc Verpoorten - Ville de Liège
D’un musée à l’autre
Un des derniers vestiges de l’Exposition universelle de 1905, le Palais des Beaux-Arts est bien connu des Liégeois. Érigé au début du 20e siècle par Charles Soubre puis utilisé par intermittence pour divers événements culturels, il hébergeait jusqu’il y a peu le Cabinet des Estampes et le Musée d’Art moderne et d’Art contemporain (MAMAC) de la Ville, depuis respectivement les années 1950 et 1990. En 2011, l’édifice ferme ses portes en vue d’un lifting complet et, à cette occasion, l’idée est lancée de transformer en profondeur l’institution en un haut lieu de la culture à Liège. Après plusieurs modifications du projet initial et un chantier de près de trois ans, s’ouvre le nouveau musée La Boverie, augmenté d’une large extension vitrée sur pilotis qui fait sensation.
D’une superficie d’environ 1200 m², celle-ci surplombe la Dérivation et accueillera les expositions temporaires programmées par le musée dans une vaste « chambre avec vue », dont les piliers semblent prolonger esthétiquement les arbres de la berge. Le reste des espaces modulables du complexe est investi par une cafeteria donnant sur la Meuse et la nouvelle passerelle, une librairie, un espace dédié aux jeunes artistes, le parcours des collections permanentes (environ 1600 m²) ainsi qu’un auditoire de 160 places.
Mais que les nostalgiques se rassurent. Si le bâtiment éclectique est passé sous les mains de l’architecte français Rudy Ricciotti (MuCEM à Marseille, département Arts de l’Islam au Louvre) et du cabinet liégeois p.HD (Paul Hautecler, Pascal Dumont), il n’en a pas perdu pour autant son caractère historique et les visiteurs reconnaîtront sans peine sa toiture à dômes, ses bas-reliefs et ses colonnes caractéristiques. À l’intérieur, le charme du bâtiment est encore très sensible et sublimé par un blanc uniforme, mis en valeur par plusieurs puits de lumière et de larges dalles en béton brut.
Des collections permanentes
Les collections des Beaux-Arts de la Ville, logées provisoirement au BAL (Musée des Beaux-Arts de Liège) depuis 2012, reprennent leurs quartiers dans le ci-devant MAMAC. Installées au premier et deuxième niveau (soit le -1 et le 0), elles comptent bien entendu dans leurs rangs quelques incontournables trésors, parmi lesquels les œuvres acquises par Liège à la vente de Lucerne et à Paris en 1939 (Picasso, Kokoschka, Chagall, Gauguin, Van Dongen), le portrait de Napoléon par Ingres, mais aussi des toiles d’Evenepoel, De Lairesse et Magritte. À cela s’ajoutent quelque 300 tableaux, dessins ou sculptures que l’on connaît parfois moins bien mais qui recensent pourtant des noms tels que Delcour, Boudin, Pissarro, Heintz, Rassenfosse, Mambour, Permeke, Delvaux, Alechinsky, Signac…
L’ensemble est présenté au fil d’un parcours chronologique qui s’ouvre avec les tableaux des 16e et 17e siècles (dont une salle consacrée à Lambert Lombard) et se poursuit avec les artistes du 19e siècle, tandis qu’une place particulière a également été réservée aux grands donateurs du musée, aux mouvements artistiques du siècle dernier (surréalisme, CoBrA, abstraction) ainsi qu’aux artistes contemporains (Charlier, Ransonnet, Delahaut, Debré, Viallat…). La collection est encore augmentée de plusieurs intégrations artistiques au sein du projet architectural : Wall drawing # 449, (Sol LeWitt, 1985), restaurée pour l’occasion, Le jardin d’acclimatation (Jacques Lizène, 2016) et un diptyque installé dans la cafeteria, réalisé par Stephan Balleux.
Enfin, la découverte des collections se prolonge par plusieurs œuvres en plein air, dont Le faune mordu (Jef Lambeaux, 1903) et la Tour cybernétique (Nicolas Schöffer, 1961) à nouveau en état de fonctionnement, réparties dans le parc de la Boverie. Dans un souci de respect des environs, celui-ci, réel écrin de verdure classé depuis 1974, a également bénéficié de divers aménagements (addition d’un « miroir d’eau » dans l’axe du musée par exemple) et retrouvé ses lettres de noblesse comme parc de loisirs et de détente. Grâce à une nouvelle passerelle enjambant la Meuse, baptisée «La Belle Liégeoise», il incarnera une des étapes importantes de l’axe urbain Guillemins-Médiacité et sera directement connecté au quartier de la gare.
Photo M. Verpoorten - Ville de Liège
« Louvre sur Meuse »
Choisie comme exposition inaugurale du nouveau centre d’art, En Plein Air cristallise la première collaboration entre la Ville de Liège et le célèbre Musée du Louvre. L’institution française, représentée par Vincent Pomarède (directeur de la Médiation et de la Programmation Culturelle du Musée du Louvre) et son équipe, a en effet chapeauté la conception de cet événement très attendu et veillera encore, pour les deux prochaines années, à programmer des expositions d’envergure qui marient les collections liégeoises et parisiennes à des prêts internationaux. Pour 2017, le thème du voyage en Italie a déjà été évoqué.
Parallèlement, le musée La Boverie programmera aussi d’autres expositions. C’est le cas de 21, rue la Boétie, consacrée à la très riche collection d’art moderne du collectionneur Paul Rosenberg (1881-1959), spoliée par le régime nazi durant les années 1940 puis partiellement restituée. Cette rétrospective, qui fait écho à l’exposition à succès L’art dégénéré selon Hitler (Liège, 2015), sera visible dès septembre 2016 et jusqu’en janvier 2017, avant d’être présentée au Centre Pompidou à Paris.
Exposition « En Plein Air » (5 mai-15 août 2016)
Déployée dans l’espace désormais dédié aux expositions temporaires, l’exposition présente une centaine d’œuvres (peintures, dessins, films) qui retracent la découverte de la Nature et des plaisirs du plein air aux 18e et 19e siècles. Alors que la société se transforme petit à petit au cours de ces périodes, la relation à la nature se modifie également et généralise alors les loisirs, les sports, les plages comme rendez-vous mondains, les promenades, les temps de flânerie et les vertus tonifiantes du « bon air ». Bien entendu, les artistes n’y restent pas insensibles. Les premiers impressionnistes (Monet, Renoir, Boudin), bien sûr, mais également quelque Matisse, Bonnard, Corot, Léger, Cézanne, Picasso occupent ainsi une large place aux cimaises et témoignent de cet engouement. À travers six sections thématiques, leurs toiles et dessins évoquent les plages normandes, les promenades au bord de l’eau, les parcs, les ateliers, les veduta, les jeux d’enfants et les premiers bains de mer.
Cette évocation de l’histoire d’amour avec la Nature résonne évidemment d’une manière toute particulière dans le parc liégeois, très présent dans le parcours grâce aux larges baies vitrées du musée. Cette mise en abyme, loin d’être une coïncidence, est clairement assumée par les organisateurs, qui souhaitaient « rendre hommage au plus bel élément du musée de la Boverie: ses grandes fenêtres qui permettent un regard privilégié sur la nature qui entoure le bâtiment ».
Une exposition scientifique et contemplative qui fleure bon le printemps…
Stéphanie Reynders
Avril 2016
Stéphanie Reynders est historienne de l’art et membre de l’équipe des guides Art&fact.