La magie, la politique et la loi

Le tournant chrétien

Dès Dioclétien (fin du 3e s.), la législation impériale se durcit face à la magie, même si celle-ci est encore distinguée de la divination, cette dernière n’étant intéressante qu’en cas de mise en danger de l’État. Avec Constantin (début du 4e s.), on revient à une condamnation des seules actions néfastes dans lesquelles la magie est un recours parmi d’autres, mais il subsiste une certaine tolérance envers les pratiques positives, justifiée par l’idée que cela protège la création de Dieu. Au milieu du 4e siècle, la magie semble bien devenir un problème en soi. À partir de 371 après J.C., sous Valens, on observe une vague de procès pour magie et divination9.

AugustinLa nouveauté tient au fait que désormais la magie elle-même est attaquée, au delà de ses effets, qu’ils soient néfastes, inexistants ou positifs. Sur les motifs justifiant cette approche, on trouve des informations précieuses chez saint Augustin (Augustin d’Hippone, 354-430).

Philippe de Champaigne, Saint Augustin, vers 1645
Los Angeles County Museum of Art
 

(Que les prodiges des païens sont les œuvres du diable) Tout cela, et bien d’autres faits du même genre qu’il serait trop long de rappeler, tout cela avait pour finalité d’imposer le culte du vrai Dieu et de s’opposer à celui de tant de faux. C’était le fruit d’une foi simple, d’une pieuse confiance, et non l’effet d’incantations et de formules mises au point par cet art, issu d’une curiosité impie, que les païens appellent « magie », ou pis, « goétie », ou, de façon plus honorable, « théurgie ». C’est comme s’ils s’évertuaient à faire croire que, parmi les habitués de ces techniques interdites, les uns, ceux que tout le monde appelle « enchanteurs », voués à la goétie, seraient répréhensibles, mais les autres, ceux qui pratiquent la théurgie, seraient estimables. Alors que les uns comme les autres, sous couvert du nom d’« anges », sont liés par les rites fallacieux des démons.

Saint Augustin, La Cité de Dieu, X, 9, 1, trad. L. Jerphagnon

 

Dans le deuxième livre de la doctrine chrétienne, saint Augustin insiste également sur la nécessité de couper tout type de communication avec les démons, car la magie ne mettrait en contact qu’avec ceux-ci et non, comme certains le croient, avec des anges. Afin d’écarter la magie, saint Augustin suggère également de bannir ce mode de communication qui lui est propre et qui permettrait selon lui aux démons de donner de la puissance aux rituels. Ces formules, nous les connaissons bien, ce sont les voces magicae ou noms barbares.

Mais toute cette science n’a de pouvoir qu’autant que, par le préjugé des esprits, elle est liée comme par un langage commun avec les démons. Elle n’en est pas moins toute chargée d’une curiosité funeste, d’une inquiétude torturante, d’une servitude mortelle (...) Ainsi, par exemple, la forme unique d’une lettre qui s’écrit X, a un sens chez les grecs et un autre chez les latins, non de par nature, mais en vertu d’une convention et d’un accord sur ce sens (...) Or toutes ces significations frappent l’esprit conformément aux conventions de la société où chacun vit, et comme ces conventions sont diverses, elles frappent différemment. Les hommes ne se sont pas mis d’accord à leur sujet parce qu’elles avaient déjà valeur signifiante, mais elles ont valeur signifiante parce qu’ils se sont mis d’accord à leur sujet. Il en va aussi de même pour les signes par lesquels s’établit une association funeste avec les démons : leur valeur est fonction des pratiques de chacun. C’est ce que montrent très clairement les rites des augures qui avant qu’ils n’observent, et une fois qu’ils ont en main les signes observés, font en sorte de ne pas regarder le vol des oiseaux, ni d’entendre leurs cris, car ces signes ne sont rien si l’assentiment de l’observateur ne s’y ajoute.

Saint Augustin, Doctrine chrétienne, II, 24, trad. M. Moreau

 

 Or, si le passage revêt un grand intérêt ne serait-ce que pour son approche brillante de la communication, le sermon ne semble pas avoir atteint le but escompté. En effet, dans les amulettes chrétiennes retrouvées en particulièrement grand nombre dans l’Égypte gréco-romaine, si les voces magicae deviennent moins fréquentes et moins nombreuses, celles-ci sont remplacées par des passages de la Bible. On en revient donc à une formule servant à accroître la puissance du rituel, cautionné ici par son contenu chrétien. Ce glissement entrainera même des changements de typologie dans ces papyrus : l’accumulation de citations rend nécessaire une surface plus importante pour la copie, ainsi les amulettes chrétiennes conservées sur papyrus et parchemins sont-elles d’une taille moyenne supérieure à celle des autres amulettes.

 

PMich-inv6666

« Iarbathagrammè phiblô chnèmeô, aee èèè iiiiooooouuuuuu ôôôôôôô. Seigneurs dieux, soignez Hélénè,
qu’(a enfantée) […] de toute maladie et de tout frisson (et d’une fièvre) [...] diurne, quotidienne, tierce, quarte [....]
Iarbath agrammè phiblô chnèmeô, aeèiouôôuoièea. »

 
Suppl.Mag. 1.3 (P.Mich. inv. 6666), amulette pour soigner Hélènè, datée du 3e siècle © Université du Michigan
Dimensions : 12 × 5,8 cm - Surface : 69,6 cm² = Catégorie n° 2 - Rapport : 2,07 = Catégorie n° 3
Surface de la zone écrite : 29,04 cm² = surface rentabilisée à 41,72 % - Taille du paquet : 12 cm x 1,16 cm = 13,92 cm²

 

 

 POxy8-1151

P.Oxy. 8.1151 (MS Gen 1026/12)
amulette chrétienne contre toute maladie pour Joanna datée du VIe siècle,  © Glasgow University Library
 
 

« Fuis, esprit détestable, Christ te poursuit. Le fils de Dieu et le Saint Esprit t’ont précédé. Le Dieu de la piscine des brebis, délivre de tout mal ta servante Joanna qu’a enfantée Anastasia, aussi (dénommée) Euphémia. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et Dieu était le Verbe. Toutes choses ont été faites par lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. Seigneur Christ, fils et verbe du Dieu vivant, celui qui a guéri toute maladie et toute faiblesse, guéris et veille sur ta servante Joanna, qu’a enfantée Anastasia, aussi (appelée) Euphémia, et poursuis et bannis loin d’elle toute fièvre et frisson de toute sorte, quotidien, tierce, quarte et tout mal. Implorez les intercessions de Notre-Dame, mère de Dieu, et des illustres archanges et du saint et illustre apôtre, évangéliste et théologien, Jean, et de saint Sérénus, et de saint Philoxène et de saint Victor et de saint Juste et de tous les saints, parce que c’est ton nom, ô Seigneur Dieu, que j’ai invoqué, merveilleux, très illustre et terrifiant pour les ennemis, amen. »

 

 

Le papyrus a été trouvé plié serré et attaché avec une ficelle.  
Dimensions : 4,4 × 23,4 cm
Surface :102,96 cm² = Catégorie n° 3
Rapport :5,32 = Catégorie n° 4
Surface de la zone écrite : 95,03 cm² = surface rentabilisée à 92,3 %
 

 

 

 

 Magali de Haro Sanchez
Avril 2016


 
9 Brown (1970).
 

>> L'image du magicien

Page : précédente 1 2 3