La perspective d’un antagonisme entre médecine et magie semble souvent aller de soi dans nos sociétés modernes et il est vrai que dès le 5e siècle avant J.C. on trouve la critique de la médecine magique dans le traité hippocratique consacré à l’« épilepsie » : La maladie sacrée.
Sur la maladie dite sacrée, voici ce qu’il en est. Elle ne me paraît nullement plus divine que les autres maladies ni plus sacrée, mais de même que toutes les autres maladies ont une origine naturelle à partir de laquelle elles naissent, cette maladie a une origine naturelle et une cause déclenchante. Les hommes, cependant, ont accrédité la croyance qu’elle est une œuvre divine du fait de leur incompétence et de leur étonnement devant une maladie qui ne leur paraît nullement semblable aux autres. Or si par l’incapacité où ils sont de la connaître, son caractère divin demeure, en revanche, par la facilité qu’ils ont de trouver le mode de traitement par lequel ils la soignent, ce caractère divin disparaît, du fait qu’ils soignent avec des purifications et des incantations.
Hippocrate, La maladie sacrée, I, 1-2, trad. J. Jouanna
Toutefois, dans l’Antiquité ces deux concepts, et les pratiques qui y étaient liées, étaient également complémentaires et bien plus perméables qu’on ne le pense souvent. Les prescriptions attestées dans la littérature médicale pourraient être classées, comme suit :
- rationabilia : des remèdes « rationnels », fondés sur les théories médicales de l’époque (quelle que soit l’école suivie), reposant sur un lien de causalité (pour l’époque et qui pourrait n’être reconnu que comme une simple concomitance aujourd’hui) ;
- physica : à savoir : d'une part des remèdes naturels à base d’ingrédients simples, mais dont l’explication relève de la théorie des sympathies et antipathies ; d'autre part, les pratiques magiques, ressenties comme telles.
Cette distinction se trouve notamment dans les prescriptions de Marcellus de Bordeaux, médecin du 5e siècle. Toutefois, chez certains auteurs, les pratiques magiques telles que les amulettes, les incantations et les rituels peuvent faire l’objet d’une troisième catégorie bien distincte des physica et des rationabilia. C’est notamment le cas chez Galien, pour une partie de son œuvre.
C'est ainsi que Pamphile traita aussi la matière relative aux plantes. Mais cet homme-là s'est tourné vers des contes de vieilles femmes et des sorcelleries égyptiennes bavardes avec des incantations que l’on prononce en arrachant les plantes ; et aussi il en use pour des amulettes et autres procédés magiques non seulement superflus et extérieurs à l'art, mais aussi tous mensongers.
Galien, Médicaments simples, VI, préambule = XI, 792, 10 - 798, 16 K., trad. J. Jouanna1
Parmi les auteurs médicaux, ceux qui reprennent le plus de remèdes magiques, semblent s’adresser à un public large comprenant des profanes, pour qu’ils se soignent eux-mêmes ou pour accumuler une somme de savoirs – comme Dioscoride, Pline l’Ancien, Gargile Martial ou Marcellus de Bordeaux –, quand les médecins praticiens conscients du jugement de leur pairs et s’adressant aussi, voire prioritairement, à ceux-ci prennent position et ne prescrivent de remèdes magiques ou de physica qu’avec des précautions oratoires.
Le public visé par les textes pourrait être une clef expliquant les considérations et utilisations différentes des remèdes iatromagiques. De nombreuses pratiques existaient et étaient connues des médecins. Bien entendu, il devait y avoir, à côté des praticiens radicalement opposés à ce type de méthodes, ceux qui y recouraient volontiers et, entre les deux, nombre de médecins et/ou auteurs soucieux de s’adapter à leur patientèle.
Certains prétendent qu’il existe même des remèdes agissant par antipathie, tels l’aimant, la pierre d’Assos, la présure de lièvre, et autres amulettes, auxquels nous n’accordons pour notre part aucun crédit ; on ne doit pas, pour autant, s'opposer à leur utilisation : si l'amulette n'a aucun effet direct, du moins l'espoir que place en elle la malade lui redonnera-t-il peut-être du ressort moral.
Soranos d’Ephèse, Des maladies des femmes, III, 12, trad. P. Burguière, D. Gourevitch, Y. Malinas
C’est que le médecin instruit doit s’efforcer de soulager par tous les moyens et d’utiliser aussi bien les sortilèges que les recettes savantes et les méthodes de l’art. Il doit, comme on dit, mettre tout en œuvre et s’ingénier heureusement pour débarrasser un malade d’une longue et pénible maladie. Pour moi, j’aime à me servir de tout. Cependant, comme un grand nombre de personnes à l’époque actuelle blâment, sans savoir pourquoi, les médecins qui emploient les moyens naturels, je me suis gardé de recourir continuellement aux procédés mettant en action des forces naturelles et je me suis efforcé de vaincre la maladie par l’art médical employé avec méthode.
Alexandre de Tralles, Therapeutica,I, 15, trad. J. Brunet
1 Jouanna (janvier-juin, 2011).