Les super-héros sont devenus humains

Vies et morts des super-héros

Que le public finisse par se lasser de cette avalanche de «superhero movies» n'aurait rien d'étonnant : le succès relatif d'Ant-Man et l'échec des Quatre Fantastiques ne peuvent évidemment pas être considérés comme des preuves indiscutables, mais ils mettent toutefois en lumière deux éléments qu'il ne faut pas négliger. Premièrement, les films qui fonctionnent le mieux sont ceux dont les héros sont sinon populaires du moins bien connus en Europe, ce qui n'est pas le cas des deux films précités par exemple. Deuxièmement, les plus grands succès parmi les adaptations sont principalement des suites (ce n'est pas pour rien que les studios misent tout sur Captain America 3, Batman vs Superman, X-Men Apocalypse ou Wolverine 3).

 Avengers

Plus gros succès de Marvel, Avengers 1 & 2 ont cumulé ensemble près de 3 milliards de dollars de recettes au box-office mondial
 

Toujours est-il que les comics ont réussi, grâce à cet état de grâce cinémato-économique, à dépasser leur statut d'objets de pop culture pour devenir objets réflexifs sur notre société. C'est en tout cas la thèse que soutiennent, à des degrés divers, la dizaine d'auteurs du livre Vies et morts des super-héros. Un titre par ailleurs essentiel, tant il souligne le caractère fondamental de tout comics : la dualité. C'est la double personnalité du héros, tantôt quidam tantôt super ; c'est le Bien et le Mal, caractérisé par le héros et sa nemesis. C'est aussi, comme le soulignent certains auteurs, la spécificité de certains héros : Hulk et son rapport à l'armée, Captain America et sa relation avec le gouvernement en place, Superman tour à tour Dieu et être humain.

Amazing Spider-Man Vol 1Dick Tomasovic revient par ailleurs sur cette question de la dualité avec l'un des super-héros les plus intéressants car les plus ambigus : Spiderman. La genèse est connue : mordu par une araignée radioactive, Peter Parker ne devient un héros qu'après coup ; Spiderman naît là où meurt l'oncle Ben, plus ou moins par la faute de son neveu. Ainsi, toute la vie de Peter Parker/Spiderman sera structurée sur le principe de la double contrainte : qu'il accepte son destin ou non, Spiderman est condamné à souffrir et à faire souffrir ses proches. Ses actes de bravoure ne lui valent, in fine, que la méfiance voire le mépris des citoyens ; ses bonnes actions sont préjudiciables à sa vie estudiantine puis professionnelle et surtout amoureuse. Du héros, Spiderman n'a au fond que le costume, qu'il tente de jeter plusieurs fois à la poubelle, allant jusqu'à l'affronter directement via l'incarnation de Venom, parasite extraterrestre prenant Peter Parker pour hôte, en modifiant son apparence, avant de devenir un être à part entière. Comme le souligne Dick Tomasovic, Spiderman affronte occasionnellement son double, qu'il s'agisse d'un imitateur (le Caméléon, Mysterio) voire d'un clone (la «seconde saga du clone» principalement conçue par Terry Kavanagh ) ; en d'autres termes, le plus grand adversaire de Peter Parker n'est autre que Spiderman, crise d'identité rarement explorée à ce point dans l'univers des comics. Mais pas au cinéma.

Et c'est peut-être là que se trouve, finalement, la recette miracle des super-héros au cinéma. Spiderman 2 de Sam Raimi abordait déjà, en son temps, cette crise du personnage et sa relation ambiguë avec ses pouvoirs et ses responsabilités, mais les films récents ont su jouer des paradoxes contemporains pour toucher un public en manque de figure référentielle. C'est le Batman soulignant les dérives possibles d'un État omniscient dans Dark Knight, c'est un Iron Man symbole d'un capitalisme malsain, c'est Thor tiraillé entre son devoir (régner sur Asgard) et sa vie privée (la Terre), c'est Captain America devant lutter contre un pouvoir corrompu. Autant de thèmes qui ont su séduire adolescents et jeunes adultes qui ont pu, au travers de tous ces récits initiatiques, se reconnaître sans problème.

Ant-Man n'a pas su trouver son public car il ne relève, au final, que du récit de transmission supplanté par une banale histoire de cambriolage et de lutte pour sauver le monde. Il n'y a pas, chez Ant-Man, cette relation ambiguë entre le personnage, ce qu'il est et ce qu'il est obligé d'incarner aux yeux de tous. Deadpool, série célèbre pour ses mises en abyme, ses jeux avec le lecteur et la rupture continue du quatrième mur, joue d'ailleurs la carte du héros qui refuse ce nom, prenant presque du plaisir à tuer des méchants. Batman vs Superman remet en question la perception que nous avons de ces deux héros en en faisant d'une part un justicier trop violent et un dieu vivant, un dictateur en sommeil. Les super-héros séduisent plus que jamais parce qu'ils sont devenus humains, vulnérables, presque fragiles. Une idée qui constitue le fil rouge de Vies et morts des super-héros.

 

Bastien Martin
Mars 2016

 

crayongris2Bastien Martin est journaliste indépendant, diplômé en Cinéma de l'ULg. Il est assistant de production chez Dérives asbl. Ses recherches doctorales portent sur le cinéma d'animation belge.

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