Autre possibilité : considérer que les variations lumineuses périodiques fournissent non les notes mais bien leur rythme – la musique résultante sera donc un tam-tam plus ou moins rapide suivant les cas. La hauteur de la note est ici choisie sans critère astronomique, mais l’amplitude relative des rythmes est de nouveau emprunté au signal céleste. Dans ce cadre, il faut citer le Noir de l’étoile , de Gérard Grisey. Ce morceau est écrit pour 6 percussionnistes disposés à des endroits différents, parmi le public. Le concert commence avec un texte de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet sur les pulsars, et continue avec les 6 ensembles de percussions, jouant tantôt séparément tantôt ensemble. La partition se fait exemplative, faisant entendre tant des rythmes réguliers que les irrégularités (en rythme et en amplitude) typiques de ces phares célestes. Par deux fois, les musiciens s’arrêtent, pour laisser entrer les invités : deux pulsars dont les signaux radios ont été convertis en son (sans changer leur fréquence, cependant). Le premier est le pulsar de Vela, pré-enregistré, tandis que le second pulsar doit, lui, intervenir « en direct » – à Strasbourg et Bruxelles, c’était PSR 0329+54 observé par le radiotélescope de Nançay. Peu de pulsars peuvent en fait convenir pour ce genre d’exercice (il faut un signal stable et fort, avec une fréquence dans la zone audible) mais en plus, ils contraignent souvent fortement l’horaire du concert. Ainsi, PSR 0329+54 n’est observable que durant une demi-heure au-dessus de Nançay, parfois tôt le matin, parfois tard le soir, et seulement à certains moments de l’année – il faut donc bien calculer son coup ! Après l’intervention de ces « invités », les percussionnistes leur répondent, mêlant signaux célestes et musique humaine. Le tout se déroule dans une ambiance feutrée, avec lumières minimales et décor sombre, en accord avec le titre de l’œuvre.
On peut aussi jouer avec des signaux non périodiques – il existe en fait des milliers d’exemples de sonification de données11 . Ainsi, les variations de densité de particules mesurées par Voyager ou celles du nombre d’impacts de grains de poussière par Cassini lors de sa traversée des anneaux ont été convertis en fréquences sonores : plus il y en avait, plus c’était aigu. Ce genre de données, en provenance des sondes Voyager et Galileo, a été utilisé par le Kronos Quartet pour Sun Rings de Terry Riley . De son côté, Robert Schroeder a transposé dans la gamme audible les signaux radio observés en provenance de la galaxie Cygnus A, les insérant dans le morceau éponyme .
À l’observatoire d’Armagh (Irlande du Nord), une installation sonique (Around North ) créée par le compositeur Robert Jarvis permet de ressentir le mouvement des étoiles autour du Pôle : le son associé à chaque étoile dépend de ses caractéristiques physiques (température, distance,...) et de sa position dans le ciel au moment où l’on écoute.
Au-delà de ces cas classiques de conversion de données en musique, il faut aussi considérer l’expérimentation. John Cage a ainsi composé son Atlas Eclipticalis , et sa suite Études Australes , en utilisant les cartes célestes d’Antonín Becvár : en plaçant des portées sur diverses régions du ciel choisies au hasard, les étoiles se muèrent en notes, formant souvent des agrégats. L’idée est de donner une dimension spatiale et éternelle à la musique – quasi objective puisque ne nécessitant que peu d’intervention humaine. Particularité : pour ce morceau de piano, les deux mains jouent de manière totalement indépendante, ce qui ne facilite pas la vie des musiciens.
Manuscrit d’Atlas Eclipticalis conservé à New YorkGeorge Crumb propose aussi, dans son Makrocosmos, de jouer avec les formes. Ses partitions présentent en effet des formes originales : spirale pour Spiral Galaxy (vol I de Makrocosmos) ou ensemble de deux cercles pour Twin suns (vol II). Les autres volumes comportent aussi d’autres morceaux aux noms célestes : Music of starry night (vol III) ; et alpha centauri, beta cygni, gamma draconis, et delta orionis (vol IV).
La partition de Spiral Galaxy de CrumbEnfin, Stockhausen s’est aussi intéressé aux constellations pour son Sternklang . Cette œuvre (qui n’est pas sa seule à consonance astronomique – cf. Sirius, Licht) doit se jouer dans un parc, avec cinq groupes de musiciens. Chacun des groupes joue ses propres combinaisons musicales, avec de temps à autre une synchronisation entre eux. Il peut y avoir aussi un transfert de musique d’un groupe à l’autre, via un chanteur fredonnant le morceau à transférer tout en se déplaçant de l’un vers l’autre. La partition comporte en outre des « K » indiquant quand jouer les « constellations ». Les écarts verticaux entre étoiles d’une constellation permettent de donner la suite de notes à utiliser, les écarts horizontaux fournissant l’écart temporel (le rythme). Enfin, la brillance des étoiles fournit l’intensité (fort ou faible) du son, tandis que le nom de la constellation sert parfois pour le chant associé.
Les constellations de Stockhausen pour Sternklang
On le voit, la musique céleste n’est pas unique – tout comme dans les Beaux-Arts, le ciel a inspiré de nombreux artistes, chacun répondant avec sa propre sensibilité. Utilisation de données astronomiques, souvenirs d’observation, réinterprétation des recherches en cours, voire réflexion sur l’harmonie du monde, c’est tout un florilège qui s’exprime ici !
Yaël Nazé
Janvier 2016
11 Quelques-uns sont proposés sur http://www.jpl.nasa.gov/multimedia/sounds/index-flash.html et sur http://proftimobrien.com/2014/03/sounds-of-space/ ou encore sur http://www-pw.physics.uiowa.edu/space-audio/sounds/