François Ier et les artistes du Nord. 1515-1547

Francois1erParmi toutes les images que la postérité nous a laissées du roi François Ier, celle de l’amateur d’art italien est probablement l’une des plus profondément ancrées dans la mémoire collective. Cette représentation n’est pas le fruit d’une création historiographique. Les sources et les faits en témoignent : François Ier fut bel et bien l’un des premiers monarques de France à avoir attiré à sa cour quelques-uns des représentants les plus célèbres des arts italiens (Léonard de Vinci en tête), tandis que sa collection d’objets et d’œuvres d’art a compté un ensemble exceptionnel de pièces originaires de la Péninsule (comme des tableaux de Léonard, Raphaël ou Titien). On sait moins que les relations que le souverain a établies avec le Nord, spécialement avec les arts des anciens Pays-Bas méridionaux, sont tout aussi riches et complexes.

Joos van Cleve, François 1er

 

François Ier et les portraitistes flamands

Les artistes flamands – spécialement les portraitistes – ont joué un rôle non négligeable dans la vie culturelle française du temps. Un paradoxe mérite en effet d’emblée d’être souligné : alors que François Ier est un amateur reconnu d’art italien, il privilégie les artistes flamands lorsqu’il s’agit de réaliser des portraits de lui-même ou ceux de son entourage. Or, la prédilection du roi en ce domaine n’est pas sans conséquence. Ces portraits, qui sont diffusés à la cour bien entendu mais également dans les contrées les plus reculées du royaume et au-delà de ses frontières, ont largement circulé, participant de ce fait au fondement du pouvoir de la monarchie à la française, qui connaît, sous le règne de François Ier, une évolution sans précédent.

Jean Clouet – le portraitiste officiel du premier roi Valois – est le plus célèbre des artistes flamands au service de François Ier. Il est sans doute le fils du peintre valenciennois Michel Clauwet, lui-même neveu de Simon Marmion, peintre et enlumineur des ducs de Bourgogne. Malgré les travaux qui lui ont été récemment consacrés, on ne sait toujours pas où il fait son apprentissage (fils de peintre, il est probable que son instruction ait commencé dans l’atelier paternel), ni quand il s’installe en France.

après MarignanClouet-portrait de Francois1er

Quoi qu’il en soit, le nom de Jean Clouet, aussi prénommé Jehannet, apparaît dans le premier rôle des officiers de François Ier, une liste datée de 1516 qui enregistre les noms et les gages des personnes qui sont au service du roi. Il figure d’abord dans la catégorie des valets de garde-robe (ce qui témoigne d’une position privilégiée, bien distincte des officiers engagés occasionnellement), puis dans la catégorie des peintres et gens de métier, et ce jusqu’en 1537 (les rôles de 1538 et 1539 sont perdus). L’importance de ses gages (à partir de 1522, il reçoit 240 livres tournois par an) confirme son statut de portraitiste de François Ier, seul habilité à le peindre au vif, comme les membres de sa famille et de la cour. Installé d’abord à Tours, où il est mentionné dès 1517, c’est un bourgeois respecté. À la fin des années 1520, il déménage à Paris. Dès 1540, son fils, François, lui succède dans sa charge de peintre du roi. Jean Clouet meurt peu après, fin 1540 ou au début de l’année 1541. Pendant vingt-cinq ans, il a enregistré le visage du roi, d’abord jeune et victorieux après la bataille de Marignan (ci-dessus, portrait de gauche), puis davantage empâté (ci-dessus, portrait de droite), et ceux de la plupart de ses proches dans des dessins, mêlant la pierre noire et la sanguine, qui serviront de modèles à des œuvres peintes.

HenriVIII Eleonore dAutricheLe nom de Joos van Cleve doit également être mentionné à propos du goût de François Ier pour l’art du portrait flamand. Entre 1530/1531 et 1532, l’Anversois séjourne même à la cour de France ; il y réalise plusieurs portraits. Les effigies de François Ier  et d’Henry VIII, visiblement conçues comme des pendants, ont peut-être été peintes à l’occasion de l’entrevue des deux rois à Boulogne-sur-Mer, en octobre 1532, une rencontre en apparence dirigée contre les Turcs, mais qui, en réalité, visait à résoudre le problème du divorce d’Henry VIII. Quant au Portrait d’Éléonore d’Autriche, la sœur de Charles Quint et seconde épouse de François Ier, il montre la nouvelle reine de France avec le prognathisme et le léger strabisme, caractéristiques des Habsbourg afin de souligner son illustre filiation, comme il est d’usage dans les portraits de la famille. Éléonore est encore habillée et coiffée selon la mode espagnole, ce qu’elle n’a fait qu’au début de son règne français, aux environs de 1530-1531, quand fut célébré le mariage entre le roi de France et la sœur de l’empereur.

 

Et d’autres

LeBataveL’intérêt du roi pour les artistes flamands ne se cantonne toutefois pas aux portraitistes. Ainsi Carel van Mander rapporte-t-il que François Ier aurait cherché à attirer à son service le peintre Jan van Scorel. D’autres personnalités ont été actives en France, au service du souverain ou de membres influents de la cour.

Ce fut le cas de Noël Bellemare, répertorié comme peintre dans les archives de la ville d’Anvers en 1512 et installé à Paris en 1515  ; de Godefroy Le Batave, qui introduit en France le maniérisme leydo-anversois, notamment en illustrant, en 1519, les Commentaires de la guerre gallique de François Desmoulins, un ouvrage que Louise de Savoie, la mère du roi, commanda afin de soutenir les prétentions impériales de son fils ; de Gauthier de Campes (le Maître de saint Gilles ?), sans doute apparenté à Henri de Campes, peintre verrier à Tournai à la fin du 15e siècle, installé à Paris dès 1500 et qui a fourni quantité de modèles pour le vitrail, la tapisserie et la peinture au début du règne de François Ier ; ou de Léonard Thiry, peintre anversois dont la présence sur le chantier du château de Fontainebleau est attestée dès 1536.

 

Une scène de bataille de Godefroy Le Batave,
dans Commentaires de la guerre gallique, de Desmoulins

 

 

Les collections d’objets et d’œuvres d’art flamands

La place de l’art flamand dans les collections royales constitue un autre volet des relations établies entre le roi de France et les réalisations artistiques du Nord. Si, on le sait, les productions italiennes sont rassemblées en nombre par François Ier (et Louise de Savoie), la proportion des objets flamands n’est pas négligeable. Les comptes font souvent mention d’achats d’œuvres à Anvers (spécialement dans le domaine de la peinture de chevalet) ou à Bruxelles (en ce qui concerne les pièces tissées). À cet égard, la tapisserie constitue un domaine où les liens avec le Nord ont été particulièrement florissants : si, pour la plupart, les cartons étaient fournis par des artistes italiens ou français, presque toutes les tapisseries que possédait François Ier avaient été tissées sur des métiers flamands installés dans les anciens Pays-Bas ou dans le nord du royaume de France (Bruxelles, Tournai, Arras). On sait aussi que le roi envoya des artistes en Flandres, comme Matteo del Nassaro, afin de superviser l’exécution de certaines de ses tapisseries. Or, de tels voyages ont aussi contribué aux échanges culturels et artistiques entre la France et le Nord. 

 

Un domaine de recherche à explorer encore

Les rapports entre François Ier et les arts des anciens Pays-Bas méridionaux, dont quelques occurrences seulement ont été signalées ici, ont été nombreux et extrêmement féconds. Pourtant, ils n’ont pas encore donné lieu à une enquête d’envergure.

Le colloque « François Ier et les artistes du Nord (1515-1547) » entend combler cette lacune, en envisageant l’intérêt que le premier roi Valois a porté aux artistes, aux musiciens et aux œuvres des anciens Pays-Bas méridionaux. La manifestation – qui a reçu le prestigieux parrainage du Comité international d’histoire de l’art – se tiendra à Bruxelles, à l’Institut royal du patrimoine artistique, les 25 et 26 février 2016. Le programme peut être consulté sur la page web crée à cette intention : http://org.kikirpa.be/francois.   

 

Laure Fagnart
Février 2016

 

 

crayongris2Laure Fagnart est chercheuse du F.R.S.-FNRS au sein de Transitions. Département de recherches sur le Moyen Âge et la première Modernité, de l'ULg.

 

 


 

 

Prolongeant les événements, commémorations et activités scientifiques qui célèbreront, en 2015, le 500e anniversaire de l’avènement de François Ier (1er janvier 1515) et celui de la victoire de Marignan (13 et 14 septembre 1515), la rencontre entend privilégier les liens entre le « grand roy Françoys » et le Nord. En effet, si les échanges entre François Ier et l’Italie demeurent un sujet d’études particulièrement fécond, les relations que le roi a établies avec le Nord, spécialement avec les anciens Pays-Bas méridionaux, sont tout aussi riches et complexes. Pourtant, ces rapports n’ont pas encore donné lieu à une enquête d’envergure. Le colloque « François Ier et les artistes du Nord (1515-1547) » entend combler cette lacune, en envisageant l’intérêt que le premier roi Valois a porté aux artistes, aux musiciens et aux œuvres des anciens Pays-Bas méridionaux.

Direction scientifique
Laure Fagnart, F.R.S.-FNRS/Université de Liège
Isabelle Lecocq, Institut royal du Patrimoine artistique, Bruxelles
F.R.S.-FNRS Contact Group "Modèles, échanges et réalisations artistiques (xve - xvie siècles)"

Le colloque se tiendra à Bruxelles, à l'Institut royal du patrimoine artistique, les 25 et 26 février 2016

Programme et inscriptions : http://org.kikirpa.be/francois/