Ces deux inventions sont toujours utilisées aujourd’hui, quasiment banalisées.
Selon Derrida, il ne peut pas y avoir d’invention sans qu’il y ait reproductibilité de cette invention. Les inventions que j’ai étudiées sont liées à leur projet de départ avant de passer dans l’usage. Même si, dans le cas du monologue intérieur, par exemple, il est rare de le retrouver comme chez Dujardin de part en part d’un récit mais plutôt intégré comme c’est le cas chez Albert Cohen ou Marie Darrieussecq. Le poème en prose, de son côté, fait question comme genre expérimental de Baudelaire à Max Jacob. Après il passe dans les formes, chez Michaux ou Ponge notamment.
Apollinaire a lui inventé le calligramme, dans le recueil qui porte ce titre, mais aussi, dans le même livre, le poème-conversation.
Calligrammes porte sur un ensemble de textes de factures différentes. Et c’est Apollinaire qui trouvera le terme surréalisme.
Pourquoi n'allez-vous pas au-delà de l’écriture automatique?
On pense souvent les inventions dans la rupture mais il faut aussi les penser dans un continuum, dans ce qu’elles reprennent. Entre ces inventions, il y a un trait commun qui est celui d’une libération progressive du langage. En inventant avec Soupault l’écriture automatique, Breton se demande comment aller le plus loin possible dans une expression qui soit la moins possible tributaire de ce qu’il appelle de façon polémique la raison. Et peut-on aller plus loin qu’elle ? L’écriture automatique est hors-cadre. Avec elle se détruit en effet le cadre de la littérature dans toutes ses formes d’expression modernes. L’invention elle-même porte atteinte expérimentalement, conceptuellement à la littérature dans ce qu’elle a été tout au long du 19e siècle. C’est pour cette raison qu’elle possède davantage que les inventions précédentes, une portée manifestaire qui la déborde largement. Même si le surréalisme, ce n’est pas que l’écriture automatique. Celle-ci n’a d’ailleurs pas eu beaucoup de descendance. Et les surréalistes belges l’ont toujours considérée comme un truc (voir ci-dessous).
En conclusion de votre livre, vous mentionnez d’autres auteurs qui ont marqué leur art, tels Lautréamont ou Rimbaud, sans être à proprement parler des inventeurs.
Je ne pouvais pas faire un livre sur l’invention sans parler de ceux qui sont considérés comme les plus grands génies de la poésie ou de la littérature. Si certains d’entre eux sont liés, ou ont été liés, à des inventions techniques, ils se situent en-dehors de la problématique étudiée.
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Jean-Pierre Bertrand vient de publier, avec Paul Aron, une Anthologie du surréalisme belge chez Espace Nord. Dans leur introduction, les deux auteurs rappellent que le surréalisme belge est loin d’être la copie conforme du français. Paul Nougé, l’une de ses figures majeures avec René Magritte, d’une part, se méfiait du «miroir faussé» de l’engagement communiste de Breton et de ses amis, d’autre part, était opposé à l’écriture automatique qui avait «pour effet de reproduire les «trahisons du langage»», et enfin, s’était élevé «contre la consécration prévisible du mouvement». Dans ce recueil, à côté de Nougé, Magritte, Scutenaire, Lecomte, Chavée, Dotremont, Irène Hamoir ou Marcel Mariën, figurent également Tom Gutt, des extraits du Daily-Bul créé à La Louvière par André Balthazar et Paul Bury ou des tracts et déclarations collectives puisés dans L’Activité surréaliste en Belgique de Marcel Mariën.
Michel Paquot
Décembre 2015
Michel Paquot est chroniqueur littéraire indépendant
Jean-Pierre Bertrand enseigne la littérature française des 19e et 20e siècles
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