Dans le contexte des débats sur l’enseignement du genre, sont parus les deux ouvrages à destination des écoles, qui sont présentés ici, traitant de l'histoire des femmes et de l'histoire du genre, deux démarches aux objectifs bien différents. D'une part, constatant que les livres d'histoire, souvent écrits par des historiens mâles, s'intéressent presque exclusivement aux récits de l'histoire de hommes, perpétuant une vision virile de l'Histoire, il s'agit de sortir de l'ombre l'implication des femmes. D'autre part, il s'agit d'analyser la création, de la diffusion et de la transformation des systèmes symboliques fondés sur les distinctions homme/ femme.
Débats sur « la théorie du genre » dans les manuels scolaires
On se souvient de l’ardeur des débats qui ont agité la France à la suite des directives de 2010 sur l’introduction de « l’identité sexuelle et des rôles sexuels » dans les manuels scolaires de SVT (sciences et vie de la terre) : « On saisira l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée1 ». Les manuels appliquent les instructions pour la rentrée 2011, et chacun développe ces notions à sa guise, certains, comme Bordas, n’hésitant pas à utiliser le terme qui fait scandale : l’identité sexuelle « dépend d’une part du genre conféré à la naissance […], d’autre part du ‘conditionnement social’. Enfin, chacun apprend à devenir homme ou femme selon son environnement, car on ne s’occupe pas d’un petit garçon comme d’une petite fille. »
Après avoir annoncé que le sexe est à la fois le sexe chromosomique, le sexe différencié et l’identité sexuelle (elle-même déterminée par la perception subjective que l’on a de son propre sexe et de son orientation sexuelle), Hachette poursuit :
L’identité sexuelle se définit comme un ensemble de comportements, d’attitudes, de symbolisation et de significations qui s’élaborent au cours du développement psycho-sexuel. Elle est un long processus d’imitation, d’éducation et d’apprentissage et se modèle à partir des représentations que l’enfant intériorise sur la façon dont il doit penser et se comporter comme être sexué.
Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. Cette identité sexuelle, construite tout au long de notre vie, dans une interaction constante entre le biologique et contexte socio-culturel, est pourtant décisive dans notre positionnement par rapport à l’autre. Devenir un individu sexué fait partie intégrante de la construction identitaire.
De son côté, Belin évoque un « troisième genre reconnu en Inde », ou explique que « Chacun apprend à devenir homme ou femme selon son environnement et l’éducation reçue » et ne craint pas d’ajouter qu’il existe « un autre aspect encore plus personnel de la sexualité : c’est l’orientation sexuelle. Je peux être un homme et être attiré par les femmes. Mais je peux aussi me sentir 100% viril et être attiré par les hommes. »
Les débats font rage. Les milieux conservateurs réagissent avec virulence contre ce qu’ils s’obstinent à déformer sous l’étiquette de « la théorie du genre ». Ils accusent une mode venue des féministes d’outre-Atlantique d’avoir gangréné les intellectuels de gauche ainsi que l’université française. Quatre-vingt députés UMP adressent une pétition au Ministre Luc Châtel pour condamner cette « idéologie » et demander le retrait de ces manuels scolaires. La réaction des chercheur(e)s et universitaires engagé(e)s dans des recherches sur les femmes, le sexe et le genre dans un très large éventail de disciplines ne se fait pas attendre ; ils soulignent, au contraire, la nécessité de prendre le genre en compte dans l’enseignement, ce qui permettra de sensibiliser les élèves aux inégalités et discriminations qui peuvent affecter les femmes mais aussi les homosexuel(le)s.
Lorsqu’à la rentrée 2013 est lancée l’expérience de l’ABCD de l’égalité, un enseignement qui s’adresse à des élèves de maternelle et de primaire dans le but de « transmettre des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes », d’aucuns dénoncent une nouvelle offensive de « la théorie du genre ». Appels au retrait des enfants de l’école, manifs et vagues d’intox (on éduquerait à la masturbation dès la maternelle, on pinaille sur Tous à poil…) : la France se déchire autour d’un amalgame englobant genre, éducation à l’égalité des garçons et des filles, mariage pour tous et aussi PMA. On est manifestement face à une nébuleuse qui confond forces notions et, en particulier, sexe, genre, identité culturelle, et préférences sexuelles. Il faut néanmoins avouer, à la décharge de ceux qui étaient de bonne foi dans cette levée de boucliers, que l’évolution sémantique du terme genre lui a valu une sérieuse ambiguïté.
1 BO n°9 du 30 septembre 2010 : 9. Ce texte figure sous la rubrique « Corps humain et santé », thème 3 A, Féminin, masculin, Devenir femme ou homme.