Les 23 et 24 avril 2015, le symposium international « Altered States : Configuring Madness in Caribbean Literature » a réuni une cinquantaine de participants – écrivains, chercheurs, étudiants – à la Cité Miroir de Liège. Cet événement prenait comme point de départ principal une double constatation : d’une part, que la représentation de diverses formes de maladies mentales, de dépressions et de psychopathologies était omniprésente dans la littérature des Caraïbes ; d’autre part, que ce sujet avait été relativement négligé par la critique, surtout dans le domaine anglophone, à l’exception de la recherche consacrée au roman Wide Sargasso Sea (1966) de l’écrivaine dominicaine Jean Rhys.
Les participants au symposium se donc interrogés sur la manière dont les manifestations littéraires d’aberration mentale pouvaient venir enrichir notre compréhension de la culture caribéenne, héritière d’une douloureuse histoire liée à l’esclavage et à la colonisation. Parallèlement à cette réflexion, s’est imposée la nécessité d’éviter de poser un diagnostic pathologique définissant les Caraïbes comme étant essentiellement un site de perturbation mentale : en effet, il est clairement apparu que la ‘folie’ pouvait également être définie comme un espace de résistance politique, culturelle et artistique. Ce constat s’est accompagné d’une remise en question des normes qui ont servi à définir les limites entre les notions de rationalité et de folie dans différents contextes culturels.
Invités d’honneur du symposium, les écrivains Kei Miller, Alecia McKenzie et Caryl Phillips ont chacun offert leur interprétation du thème proposé. En ouverture du colloque, Kei Miller a exploré les liens entre extase religieuse, colère et ‘folie’, suggérant que les manifestations d’exaltation ou d’emportement chez plusieurs femmes caribéennes de la diaspora pouvaient soit être interprétées comme étant symptomatiques d’épisodes psychotiques ou, de manière plus subtile, être considérées comme l’expression de crises de citoyenneté. Alecia McKenzie, pour sa part, s’est intéressée aux effets psychologiques dévastateurs du ‘masque’ porté par les immigrés caribéens en Europe, forcés de réprimer leur identité pour survivre à l’environnement hostile caractérisant les anciens pays colonisateurs. Enfin, Caryl Phillips a fait découvrir au public son dernier roman, The Lost Child (2015), dont l’un des thèmes principaux est précisément l’aliénation mentale, dont l’auteur explore les complexités émotionnelles, sociales et culturelles.
En marge de cet événement, cette rubrique du numéro spécial de Mixed Zone consacré à la folie propose aux lecteurs de continuer à découvrir l’œuvre de deux de ces écrivains, Kei Miller et Alecia McKenzie. Dans un entretien réalisé lors de sa visite à Liège par Rebecca Romdhani, Kei Miller dresse un portrait de ses préoccupations artistiques, dont certaines sont également perceptibles dans les trois poèmes de l’auteur inclus dans cette rubrique. Ces trois textes sont reproduits dans leur version originale anglaise, mais aussi publiés dans une traduction française réalisée par Caroline Ziane. Une autre traduction inédite présentée ici est celle de la nouvelle « Terminus » d’Alecia McKenzie, qui nous invite à une réflexion sur le thème du symposium dans le contexte jamaïcain. Ces textes, chacun à leur manière, témoignent de la richesse de la littérature des Caraïbes anglophones, une tradition encore trop peu connue dans le monde francophone.
Bénédicte Ledent et Daria Tunca
octobre 2015
Bénédicte Ledent enseigne la langue et la littérature anglaises à l’Université de Liège. Ses recherches portent sur le roman de la diaspora africaine, en particulier en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Daria Tunca enseigne la langue anglaise à l’Université de Liège. Ses recherches portent principalement sur les aspects stylistiques de la littérature nigériane contemporaine.