Isaac Bashevis Singer, La famille Moskat

SingerNé en Pologne au début du siècle dernier, arrivé aux États-Unis d’Amérique avant la Grande Catastrophe, mort à l’âge respectable de 87 ans, Isaac Bashevis Singer aura, toute sa vie, tenté de préserver un trésor en voie d’extinction : le yiddish. Il écrivait dans cette langue et publia nombre de ses contes, nouvelles et romans (sous forme de feuilletons) dans le Yiddish Daily Forward. Pour pouvoir être éditées sous forme de livres adaptés au marché américain, ses fictions étaient ensuite traduites en anglais et c’est à partir de cette dernière version que les traducteurs, notamment francophones, de Singer travaillaient. Cette double torsion n’empêche pas – du moins se plaît-on à l’espérer – que l’esprit de ses œuvres, qui font revivre le shtetl et la Varsovie d’autrefois, continue d’atteindre et d’enchanter leurs lecteurs.

C’est encore le cas avec La famille Moskat, qui narre le destin d’une lignée de Juifs varsoviens depuis le début du 20e siècle jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. À la veille de la Première, le patriarche, Reb Meshulem Moskat, vit encore dans la tradition et tente, tant bien que mal, d’en inculquer le respect à ses enfants – lesquels se laissent déjà séduire par les sirènes de la modernité et d’une certaine sécularisation. Que dire alors des petits-enfants ? Autour de cette famille, gravite une constellation de personnages secondaires marquants, comme Asa Heshel Bannet, un jeune homme pauvre venu dans la capitale pour apprendre et devenir un érudit – en qui l’on croit reconnaître, compte tenu de son instabilité sentimentale, un double de l’auteur lui-même –, Koppel, l’intendant de Meshulem, ou bien encore Barbara, une Gentil aux sympathies communistes dont Asa Heshel tombera amoureux. On retrouve, dans cette saga de presque mille pages, les thèmes chers à Singer : opposition de la tradition et de la modernité, tension entre la loi morale et la faiblesse humaine, méfiance à l’égard des idéologies globalisantes, importance de l’amour, par-delà les interdits légaux ou sociaux – le tout servi par une histoire aux multiples rebondissements, qui transporte le lecteur dans divers pays et diverses époques.

Pour une fois que le Prix Nobel de littérature fut décerné (en 1978) à un écrivain qui le méritait, ne boudons pas notre plaisir.

Nicolas Thirion

 
Isaac Bashevis Singer, La famille Moskat, trad. Marie-Pierre Bay et Nicolas Castelanau-Bay, J'ai Lu, 2014, 864 p
 

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