Alan Hollinghurst,  La Piscine-bibliothèque

HollinghurstAyant attiré l’attention en France avec La ligne de beauté, récompensé par le prix Médicis étranger en 2013 avec L’enfant de l’étranger, Alan Hollinghurst  bénéficie aujourd’hui du privilège de voir son premier roman, La Piscine-bibliothèque, paru pour la première fois en français en 1988 dans une relative indifférence, faire l’objet d’une nouvelle traduction. On peut espérer que la reconnaissance institutionnelle de l’auteur en France, via le rituel presque religieux des prix littéraires qui y a cours, permettra à ce livre épatant de connaître le succès qu’il mérite.

Quand Will Beckwith, un jeune aristocrate anglais, gay de surcroît, sauve la vie de Charles Nantwich, un vieil aristocrate anglais, gay de surcroît, dans une pissotière connue pour être un lieu de rendez-vous homosexuel et quand, par-dessus le marché, il se trouve que les deux fréquentent le même club de sport, il n’en faut pas davantage pour organiser une habile machination dont le plus âgé sera l’instigateur et le plus jeune, la victime tout autant que le bénéficiaire. C’est l’occasion pour Hollinghurst de tracer le portrait de deux générations d’homosexuels anglais : la première fit l’objet de nombreuses persécutions policières et judiciaires jusqu’à la fin des années 1960, en raison d’une loi passablement répressive héritée de l’ère victorienne ; la seconde a pu profiter des avantages de la libération sexuelle sans connaître encore les ravages du sida (bien que terminé en 1984, l’ouvrage fait volontairement l’impasse sur la période suivante qui, à l’épée de Damoclès d’un Etat oppresseur, substitua la guillotine d’une maladie mortelle). On aurait tort, toutefois, d’enfermer ce roman dans sa seule dimension (homo)sexuelle : il y est aussi question des colonies britanniques, de l’aristocratie anglaise – inutile et indispensable (indispensable parce qu’inutile) –, de littérature, de politique (l’ère thatchérienne vient de s’ouvrir) ou bien encore d’archéologie.

On retrouve déjà, dans cette première œuvre d’un des plus grands écrivains anglais vivants, le style ample, d’une musicalité presque proustienne, parfois entrecoupée de passages triviaux qui contrastent avec l’élégance générale, et l’humour pince-sans-rire d’un entomologiste méticuleux de la société britannique.

On l’aura compris : il serait absurde de réduire ce roman à un exemple remarquable de littérature homosexuelle, même si Edmund White a pu écrire, à son sujet, qu’il s’agissait là du « meilleur roman jamais écrit par un auteur anglais sur l’homosexualité ». C’est que, à proprement parler, il n’existe pas de « littérature homosexuelle »  – pas plus que de littérature hétérosexuelle d’ailleurs. Il n’existe que de la bonne et de la mauvaise littérature et La Piscine-bibliothèque appartient assurément à la meilleure.

 

Nicolas Thirion

Alan Hollinghurst, La Piscine-bibliothèque, Trad. Alain Defossé,  Albin Michel, 2015
 

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