Lectures 2015 - Focus : Polars, thrillers et romans noirs

MinierBernard Minier, Une putain d’histoire

Sur le ferry qui, comme chaque jour, les ramène du continent où ils sont scolarisés à leur domicile sur Glass Island, au large de Detroit, Henry, 16 ans, apprend de Naomi, sa petit amie, qu’elle veut «faire un break» car elle a découvert «qui il est». Il tombe des nues, ne comprend rien à ce qu’elle dit. Et lorsque, le lendemain, on retrouve le cadavre de la jeune fille sur une plage, la bande de copains dont elle faisait partie décide de mener sa propre enquête, un peu à la manière du Club des Cinq (sans le chien) – référence d’ailleurs citée. Mais il y a un «hic»: pour la police, Henry est le principal suspect puisque Naomi a disparu suite à leur dispute assez violente sur le bateau – filmée par les caméras de surveillance. De là à penser que ce garçon adopté enfant par deux mères l’aurait lui-même poussée à l’eau, il n’y a qu’un pas que le procureur n’hésite pas à franchir. S’engage ainsi une course contre la montre d’autant plus pimentée qu’il est aussi question d’un «corbeau» qui fait chanter pas mal de monde sur l’île à propos de soirées libertines. Pendant ce temps, loin de là, Grant Augustine, directeur de l’une de ces nombreuses sociétés de surveillance nées après le 11-Septembre, fait campagne pour devenir gouverneur de l’État de Virginie. Grâce aux antennes qu’il possède sur quasiment tout le territoire des États-Unis, il est enfin parvenu à localiser le fils qu’il recherche depuis 16 ans… à Glass Island. Au-delà d’un suspense très solide, l’auteur de Glacé et de N’éteins pas la lumière soulève la question on ne peut plus actuelle de la surveillance totale dont nous sommes les cibles via Internet, nos téléphones portables et autres merveilles technologiques. (XO Éditions)

 

GilbersHarald Gilbers, Germania

C’est un auteur allemand qui signe ce premier roman soufflant sur les braises encore fumantes du Troisième Reich. À Berlin, l’été 1944, alors que les dignitaires nazis, faisant fi des bombes alliées, continuent à galvaniser la population, les corps nus et mutilés de jeunes femmes sont retrouvés devant des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. L’enquête est confiée par le SS Vogler à Richard Oppenhemer, un ex-commissaire de police révoqué parce que Juif mais non déporté grâce à son épouse aryenne. Dans cette course contre la montre pour retrouver le tueur en série, la cohabitation entre les deux hommes ne va pas sans mal. Au-delà de la tension qu’il génère, l’un des très grands intérêts du livre est la description de la vie dans la capitale allemande au cours de ces semaines décisives, une réalité que l’on connaît mal. Habitué aux grands défilés militaires et aux manifestations enthousiastes vues et revues à la télévision, on se surprend par exemple à découvrir que la foi nazie n’avait pas pénétré tous les esprits et que l’usage de la force contre les opposants était monnaie courante. Ce roman dans le roman montre qu’il existait une résistance, y compris au plus haut niveau. (Traduit de l’allemand par Joël Falcoz, Kero)

 

ArionGeorge Arion, Qui veut la peau d’Andreï Mladin ?

On ne connaît pas grand-chose de la littérature roumaine contemporaine, et encore moins policière. Raison de plus pour se réjouir de la traduction en français de deux romans de George Arion, journaliste et scénariste de films et de séries télés, romancier et poète, auteur de pièces de théâtre et d’opéras, dont les polars sont des best-sellers dans le pays qui a vu naître Cioran, Éliade, Ionesco, Tzara ou Herta Muller. Son premier livre traduit début 2014, Cible royale (paru en Roumanie en 1997), jouait avec les codes du roman d’espionnage. La visite du roi Michel 1er, cible d’un tueur manipulé par Moscou, et les projets terroristes dans Bucarest de deux frères jumeaux islamistes, mettaient sans dessus-dessous les services secrets américains, russes, israéliens et roumains.

Qui veut la peau d’Andreï Mladin?, récemment paru, est, quant à lui, un roman policier. Au lendemain d’une soirée dont, pour cause d’abus d’alcool, il a totalement perdu le souvenir, le narrateur, Andreï Mladin, journaliste qui vit seul avec son chat Mécène, se réveille aux côtés d’un cadavre. Qui lui en veut à ce point ? Et pourquoi ? Après avoir caché le corps, il cherche à savoir ce qui s’est passé au cours de cette funeste soirée. Ce premier tome d’une série à succès en Roumanie est paru en 1983, sous Ceausescu donc. Or Arion s’y montre particulièrement irrévérencieux envers «le génie des Carpates»: après une citation («comme disait un tel»), il ajoute toujours: «Fin de citation». Or cette expression était employée par toute personne reprenant les paroles du Conducator, pour le tourner en ridicule. Mais si la force subversive de ces quelques mots a été comprise par les lecteurs, qui s’en sont délectés, elle a totalement échappé à la censure qui a autorisé la publication des livres. (Traduit du roumain par Sylvain Audet-Gainar, Genèse Éditions)

 

RochaLuís Miguel Rocha, Le dernier pape

La papauté et le Vatican sont d’inépuisables terreaux de thrillers. Le point de départ du Dernier pape est l’une des morts les plus énigmatiques de ces dernières décennies, celle de Jean-Paul 1er le 29 septembre 1978, 33 jours après son élection. Embaumé séance tenante, contre tout respect du protocole, le corps n’a pas pu être autopsié. Huit ans plus tard, une jeune journaliste portugaise se fait agresser. La liste qu’elle a en sa possession, où figure notamment le nom de son père, intéresse semble-t-il beaucoup de monde. Protégée par l’énigmatique Rafael, pourchassée par une loge maçonnique et la CIA, elle s’engage dans une course-poursuite qui va la conduire… au Vatican. Outre de savoir construire un suspense, ne manageant pas le moindre temps, l’auteur portugais enrichit son intrigue de mystères liés à la cité papale. On y croise des notables du Vatican corrompus et la loge P2 tandis que sont soulevées des questions liées à la mort de Jean-Paul 1er qui avait décidé de faire le ménage dans la Curie. (Traduit du portugais par Vincent Gorse, L’Aube noire).

 

ZellwagerMark Zellweger, Panique au Vatican

Après L’Envol des faucons et avant Double Jeu, Panique au Vatican est le deuxième volume de la série Le Réseau Ambassador. Vous avez besoin de régler une affaire délicate en toute discrétion? Faites appel au Sword, un service de renseignements non gouvernemental totalement neutre et indépendant créé en Suisse par Mark Walpen. C’est aux Faucons, sa cellule d’actions clandestines capable d’intervenir dans le monde entier et dans n’importe quelle situation, que le Vatican fait appel pour retrouver le nouveau Pape Anastase V d’origine chinoise, qui s’est avéré plus réformiste que prévu, ce qui gêne pas mal de monde. Et qui avait commencé à entretenir des contacts avec les autorités de son pays pour tenter de régler la situation du Tibet. Sur cette enquête qui va conduire les Faucons vers les contreforts himalayens et les confronter à la mafia chinoise, vient s’en greffer une autre liée à la disparition de la jeune princesse d’une petite principauté. Et pendant ce temps, on déplore la mort de quatre Gardes suisses du Vatican. Ancien conseiller stratégique, l’auteur connaît à fond son sujet, notamment la description de la mise en œuvre des opérations, ce qui rend son thriller d’autant plus crédible et haletant. (Eaux troubles)

 

ArbolVíctor del Árbol, Toutes les vagues de l’océan

Né à Barcelone en 1968, Victor del Arbol, dont c’est le troisième roman traduit en français après La Tristesse du Samouraï et La maison des chagrins, brasse, à travers une intrigue extrêmement prenante, quelques moments tragiques du 20e siècle: la guerre civile espagnole et les camps français où furent ensuite parqués les réfugiés républicains ou l’URSS des années 1930 et le goulag stalinien. Le personnage principal, un avocat barcelonais quadragénaire et un peu falot, Gonzalo Gil, apprend que sa sœur, dont il n’avait plus de nouvelles depuis longtemps, s’est suicidée après avoir torturé un truand russe qu’elle soupçonnait d’être l’assassin de son fils. Est-ce la vérité? En plein doute, il décide d’aller y voir de lui-même, faisant remonter le passé à la surface. Un passé d’où émerge la figure de son le père, Elias, jeune communiste idéaliste arrivé à Moscou en 1933. Accusé de trotskisme avec quelques camarades, il est déporté en Sibérie sur «l’île aux cannibales» où un prisonnier de droit commun fait régner la terreur. Revenu vivre en Espagne, il a disparu en 1967. Cette histoire dans l’histoire, passionnante, terrifiante aussi, apporte au roman une densité et une force dramatique exceptionnelles. (Traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Actes Sud/actes noirs)

 

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