Brecht Evens, Panthère

EvensLe jeune prodige belge Brecht Evens revient avec un troisième livre plus inquiétant encore que les deux autres. Insituable, le récit bariolé touche au monde de l’enfance, sans pourtant être destiné aux plus jeunes, et sans non plus emprunter ses moyens à la littérature jeunesse – ou alors pour la détourner de sa bien-pensance naturelle. Le caractère lumineux des options formelles n’empêche pas l’ensemble d’être dérangeant. Au contraire : la violence latente inquiète d’autant plus que le graphisme semble joyeux. Le dandy Panthère se présente comme l’héritier princier du royaume enchanté de Panthésia, dont il surgit par magie (ou par sorcellerie) pour consoler la petite Christine dont le chat vient d’être euthanasié. Séducteur et manipulateur tout à la fois, le félin parvient à imposer sa présence dans la chambre de l’enfant, se lançant dans un récit délirant et versatile qui répond adéquatement aux attentes de Christine. Panthère la réconforte sans laisser apparaître directement les sombres pulsions qui l’animent – même si le lecteur n’est pas dupe très longtemps. Figure maléfique de la peluche animée (une sorte de Hobbes pervers et malin : la référence est assumée), il devient l’ami idéal de Christine, mais pourrait aussi bien être son bourreau. Récompensé par le prix de l’Audace en 2011 pour Les Noceurs, Brecht Evens continue à renforcer son style très graphique. Ses croquis sont réalisés directement sur le papier à l’aquarelle, et laissés apparents. Sans possibilité de retouche, le dessin cherche l’heureux accident, essayant d’être suffisamment non-naturel (les fausses perspectives, par ex.) pour que l’œil du lecteur y « trébuche » - selon l’expression de l’auteur. La gouache permet dans un second temps d’apporter de la matière et de la densité à la narration. À l’époque où le noir et blanc fait figure d’élégance esthétique, l’auteur de ces pages choisit au contraire d’assumer le caractère carnavalesque et criard de sa pensée.

Maud Hagelstein

 

Brecht Evens, Panthère, Actes Sud BD 2014, 126 p.
 

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