Ceux que d’ordinaire la littérature de genre ne séduit pas n’auront aucune peine à plonger dans ce roman noir palpitant. Surtout parce que l’auteur ne s’y résout pas (aux critères génériques du roman noir, ou en tout cas à leur acception stéréotypée) mais qu’il déplie ici un récit aux accents multiples : certaines séquences narratives pourraient s’intégrer sans mal à des ouvrages d’histoire sociale ou d’ethnographie, d’autres sont d’une finesse psychologique étourdissante (inconfortable pour le lecteur), d’autres encore proposent des descriptions qui égalent la peinture de paysage romantique. Le roman est archi documenté ; l’auteur a effectué sur ces îles des recherches très poussées durant plusieurs années. Sans être jamais lâché par l’intrigue extrêmement intense – n’imaginez pas vous satisfaire d’une lecture en dilettante, la trilogie réclame quelques jours d’immersion –, le lecteur augmentera par ailleurs son savoir concernant les désordres causés par la maladie d’Alzheimer, le mode de vie domestique des populations insulaires de langue gaélique, les rites ancestraux liés à la chasse des oiseaux nicheurs de l’îlot rocheux de An Sgeir, le destins d’enfants orphelins envoyés par l’Église catholique sur les îles pour être les esclaves des paysans écossais, ou les conditions techniques très précises d’autopsie de corps cadavériques conservés en dépit du temps. La nature sauvage et inhospitalière des îles Hébrides du nord de l’Écosse sert de décor aux aventures houleuses de l’inspecteur Fin Mcleod. Détruit par la mort accidentelle de son fils unique, séparé dans la foulée d’une maman inconsolable, Fin retourne sur son île natale de Lewis où un meurtre sordide vient d’être découvert. On ne devrait pas en dire plus ; chaque page participe à l’efficacité de l’ensemble. Un roman qui sent la tourbe fumée et le sel marin – et qui ne sera pas détrôné de sitôt de mon palmarès subjectif.
Maud Hagelstein
Peter May, La trilogie de Lewis, Trad. Jean-René Dastugue, 3 volumes : L’île des chasseurs d’oiseaux (2011) ; L’homme de Lewis (2013) ; Le Braconnier du lac perdu (2014), Babel noir.
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