Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature étrangère

YoungLouisa Young, Je voulais te dire

Un jour de décembre 1907, par la «grâce» d’une boule de neige qui ne lui était pas destinée, Riley, encore enfant, entre dans la famille de Nadine, une fille de son âge dont il ne sait pas encore qu’il tombera éperdument amoureux. Issu d’un milieu modeste, il découvre un autre monde, protégé par un oncle peintre, Sir Alfred, qui le prend comme aide puis comme modèle. Se croyant rejeté par son amoureuse, qui ne fait que subir la pression de sa mère peu favorable à ce mélange de milieux sociaux, il s’engage en 1914 dans le régiment de son quartier. Pour la durée de la guerre plutôt que pour un an, convaincu de la brièveté du conflit. Durant celui-ci, Riley est blessé dans les Flandres. Défiguré, il est opéré au Queens Hospital, à Sidcup, dans le Kent, mais, de peur d’être rejeté ou aimé par pitié, il ne veut plus revoir Nadine, devenue infirmière. Louisa Young décrit ainsi minutieusement le travail chirurgical de reconstitution faciale effectué en Angleterre, pionnière dans ce domaine. En parallèle, nous suivons le supérieur du héros, Peter Locke qui, lui, à son retour, sombre dans l’alcoolisme et refuse de revoir sa femme. Trad. Françoise Jaouën (Le Livre de Poche)

 

OlafsdottirAuður Ava Ólafsdóttir, Rosa Candida

Le narrateur de Rosa candida quitte son pays, son père et son frère jumeau autiste pour se rendre dans «la plus belle roseraie du monde» afin d’y planter une rose à huit pétales, la rosa candida du titre, si chère à sa mère morte quelques temps auparavant. Son voyage est long et chaotique. Arrivé à destination, il est logé dans la dépendance d’un monastère dont il remet en état le jardin – la roseraie. Il se lie avec un «frère» qui passe ses soirées à regarder des DVD de films d’auteurs et commence à trouver sa place dans cette nouvelle existence, que seules les régulières conversations téléphoniques avec son père rattachent à son passé. Mais survient une jeune fille, mère d’une fillette dont il est le père et qu’elle lui demande de garder pendant qu’elle travaille sur son mémoire. La magie de ce roman réside dans la façon dont le narrateur s’efforce de sans cesse positiver ce qui lui arrive, même si, dans un premier temps, il se montre contrarié. Il se dégage ainsi de cette lecture une forme de bien-être née de la beauté et de l’intelligence du regard que l’auteure islandaise porte sur ses personnages. Trad. Catherine Eyjólfsson (Zulma Poche)

 

BrinkAndré Brink, Mes bifurcations

En 1980, paraît en français Une saison blanche et sèche qui révèle à un large public un écrivain sud-africain en lutte contre la politique d’apartheid en vigueur dans son pays –où son roman est d’ailleurs interdit. Trente ans et d’autres livres plus tard, il publie ses mémoires sous un titre explicite, Mes Bifurcations. Fils d’un vétéran de la guerre des Boers, André Brink est né en 1935 dans le dorp afrikaner, une «enclave blanche» au cœur d’un univers noir protégée par la Bible. Si sa famille n’est pas ouvertement raciste, le racisme est néanmoins «omniprésent». Et l’ennemi est d’abord l’Anglais qui gouverne l’Etat. À cette période, le jeune homme est aveugle à la réalité. «C’était notre mode de vie d’alors, un modèle imposé par Dieu», se désole-t-il aujourd’hui. Pourtant, au sein d’un groupe de discussion formé au lycée, il défend, sans y croire, une société sans ségrégation – conseillé par son père magistrat intellectuellement en faveur d’une société multiraciale tout en soutenant «avec feu» le régime d’apartheid. Étudiant, André Brink accueille avec «des élans d’une ferveur quasi religieuse» le nouvel arsenal de lois d’apartheid instauré au début des années 1950, «étapes sur le chemin de la réappropriation de son identité par l’homme afrikaner». C’est hors de son pays, à Paris, où ce lecteur d’Hugo, Camus, Balzac et Zola est venu étudier à la Sorbonne en 1960, et où il s’ouvre à l’art, que son regard se désille suite à la fusillade lors d’une manifestation de Noirs pacifique à Sharpeville qui fait 69 morts. L’écriture devient alors de plus en plus présente dans sa vie. Trad. Bernard Turle (Babel)

 

SpraggMark Spragg, Là où les rivières se séparent

De Marc Spragg, né en 1952 dans un ranch du Wyoming, les éditions Gallmeister, spécialisées dans la littérature nord-américaine, ont déjà publié plusieurs livres dont, dans leur collection de poche Totem, Une vie inachevée, porté au cinéma par Lasse Hallström avec Robert Redford. Publié une première fois il y a une dizaine d’années, Là où les rivières se séparent réhabilite les grands westerns d’antan. Son narrateur, probablement pour une large part le double de l’auteur, a passé son enfance dans un ranch-hôtel du Wyoming, non loin du parc de Yellowstone, sans télévision, ni journal, fréquenté l’été par des gens de tous horizons amateurs de cet «anachronisme». Il raconte cette vie-là: les travaux quotidiens avec son père, le maniement du lasso, la compagnie des chevaux, les filles dont il est amoureux, John, quadragénaire farceur qui présente cet enfant de 15 ans comme son associé pour ouvrir un bordel… Des émotions fortes dans des décors grandioses. Trad. Laurent Bury (Gallmeister/Totem).

 

FletcherSusan Fletcher, Les reflets d’argent

Emmeline était sa mère, Tabitha sa tante, Maggie sa femme, Hester sa sœur, Nathan son frère, Leah sa nièce: Tom, en disparaissant mystérieusement quatre ans auparavant, a traumatisé une famille entière de l’île de Perla. Qui ne s’en est jamais remise. Dès lors, lorsqu’un homme barbu est découvert inanimé sur la plage, les imaginations s’affolent. Et si c’était lui? Et chacun de défiler dans la maison de l’infirmière qui l’a recueilli et soigné. Lentement, l’inconnu revient à la vie. Sans le moindre souvenir. Dans Les reflets d’argent, l’Anglaise Susan Fletcher se sert de cette apparition pour donner vie à une communauté humaine insulaire. Maggie, née sur le continent et venue par amour sur cette île qu’elle a fait sienne, se définit comme une glaneuse «attirée par les tessons, ce que la vie abandonne dans son sillage». Elle introduit et referme le roman au cours duquel les villageois prennent alternativement la parole. Chacun s’interroge sur l’homme échoué, rappelle ses rapports à Tom, fait remonter le passé à la surface. Mais ce n’est pas tout. Car l’auteur d’Un bûcher sous la neige mêle à son intrigue des légendes propres à toute société, qui plus est insulaire. Revient sans cesse celle qui parle d’un homme-poisson à qui il pousse des jambes et auquel certains n’hésitent pas à rapprocher «l’homme sans nom». Dans un style très personnel, rythmé par de brefs dialogues ou des bouts de pensée inscrits en italique dans le fil du récit, Susan Fletcher raconte comment la réalité peut se construire sur des mythes anciens transmis de génération en génération. Trad. Stéphane Roques (J’ai Lu)

 

felliniFederico Fellini, Le voyage de G. Mastorna

Ce Voyage de G. Mastorna, notamment écrit avec Dino Buzzati, est le film fantôme de Fellini. Ecrit en 1965, après 8 1/2 et Juliette des esprits, entré en pré-production l’année suivante, ce film sur la vie après la mort, qui voit un violoniste (interprété par Mastroianni) errer dans une ville-limbes, ne sera jamais tourné, raconte Aldo Tassone dans la préface. Peut-être à cause de la mystérieuse maladie qui, à la veille du tournage, a frappé le metteur en scène qui, très superstitieux, décida de renoncer à ce projet auquel il tenait pourtant beaucoup. C’est en vain qu’il tentera de le reprendre par la suite. Une adaptation en a été faite en bande dessinée par Milo Manara au début des années 90, un an avant la mort du cinéaste. Cette édition en est la version romanesque. «Pensé pour être un film totalement onirique, ce projet maudit représente l’anneau dont il faut tenir compte pour comprendre l’évolution de la personnalité de notre auteur», écrit le préfacier qui, l’ayant eu en mains en 1968, le considère comme exceptionnel. Toby Dammit, l’un des épisodes du film collectif Histoires extraordinaires réalisé en 1968, le climat mortuaire de Satyricon, mais aussi des moments les plus magiques de Roma, Et vogue le navire ou Répétition d’orchestre en sont issus. Trad Françoise Pieri, avec la collaboration de Michèle Berni Canani (Points)

 

woolfVirginia Woolf, Essais choisis

On n’en finit pas de rééditer Virginia Woolf, et c’est tant mieux. Ce volume de 500 pages réunit une trentaine de textes où l’on découvre divers aspects de la personnalité de l’auteure de Mrs Dalloway. On la découvre lectrice de Montaigne, Defoe, Madame de Sévigné, Jane Austen, Thomas Hardy ou Joseph Conrad. Un amour pour les auteurs anciens qui ne l’empêche pourtant pas de considérer que «l’art du roman semble avoir progressé». «Leurs chefs d’œuvre ont un curieux air de simplicité», constate-t-elle. Ce dont témoignent ces textes, c’est «l’engagement obstiné de Woolf dans et pour la littérature», écrit Catherine Bernard dans la préface. L’essai est, pour la romancière, «un espace de dialogue et de confrontation feutrée avec la tradition littéraire et la culture». Ce qui frappe aussi à la lecture de ce recueil, c’est l’ancrage de son auteure dans son temps. Woolf parle de la liberté des femmes, les encourageant à «meubler» et «décorer» les «pièces» conquises dans la demeure des hommes. En octobre 1940, quelques mois avant son suicide, alors que les avions allemands survolent sa maison du Sussex, elle écrit Considérations sur la paix en temps de guerre. Elle se montre convaincue que les femmes, puisqu’elles n’ont pas d’armes dans un monde où «les faiseurs d’idées en position de mettre les idées en actes sont des hommes», peuvent combattre par l’esprit en proposant des idées pour les Anglais qui se battent. Trad. Catherine Bernard (Folio Classique)

 

Michel Paquot
Juin 2015

 

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