Lectures pour l'été 2015 - Poches - Littérature étrangère

RamosGraciliano Ramos, São Bernardo
Darcy Ribeiro, Utopie sauvage

À l’occasion de la mise à l’honneur du Brésil au Salon du Livre de Paris au printemps dernier, L’Imaginaire a réédité des romans de deux auteurs importants du 20e siècle. Sao Bernardo de Graciliano Ramos (1892-1953), est une confession, celle d’un orphelin pauvre devenu un propriétaire terrien violent, escroqueur, menteur, impitoyable, tant envers ses paysans et ouvriers qu’à l’égard de sa femme, une institutrice épousée tardivement par amour. Celle-ci a «bon cœur, trop bon cœur» se rend compte celui qui se voit comme une «âme frustre». Mais trop tard: après trois ans de mariage, refusant de se soumettre à ses lois, victime de sa jalousie maladive et féroce, elle a choisi la mort, le plongeant dans une tristesse dont il ne se console que par l’écriture. Trad. geneviève Leibrich.

Ribeiro

Sous-titré «Souvenirs de l’innocence perdue», Utopie sauvage est l’œuvre d’un anthropologue qui, après avoir été recteur de l’université de Brasilia et ministre de l’Education, a vécu en exil après le coup d’Etat de 1964. Il n’est revenu dans son pays qu’en 1976 où il est mort vingt-et-un an plus tard, à l’âge de 75 ans. C’est dans ses travaux sur les tribus indiennes d’Amazonie que Darcy Ribeiro a puisé le prétexte de cette fable savoureuse et passablement moqueuse, voire très critique, qui voit un lieutenant de «la Glorieuse Armée Nationale» devenir successivement Pitum chez les Amazones et Zoreille chez les Galibis. Il n’hésite pas, par exemple, s’adressant à son/sa «cher(e) lecteur(trice)», à philosopher sur la «sauvagerie» des Galibis qui, s’étonne-t-il, «restent si rachitiques du point de vue la Culture». Etres «incomplets, mal sortis de la main du Créateur, encore verts, crus», leur «incapacité au progrès» est «notoire», tranche-t-il. Trad. Ana de Alencar (L’Imaginaire)

 

ConnolyJoseph Connolly, England’s Lane

Réellement située dans le nord de Londres, England’s Lane est une rue commerçante qui, sans le savoir encore, brûle ses derniers feux à la vieille de l’arrivée des grandes surfaces. C’est à elle que donne vie Joseph Connolly en s’attachant à quelques-uns de ses habitants. Suite à la mort de ses parents dans un accident de voiture, Paul a été adopté par sa tante Milly qui, en juin 1940, a épousé Jim, un militaire en permission devenu quincailler qu’elle n’a pourtant jamais aimé. Cet enfant de onze ans est l’ami d’Anthony, son copain de classe atteint de la polio dont les parents tiennent la confiserie. Enfin son père, car sa mère reste enfermée dans sa chambre depuis de nombreuses années. Un autre «notable» de l’artère est le boucher, Jonathan Barton, un séducteur – l’épicière l’a vu en compagnie de la jeune shampooineuse – au passé bien trouble, comme on le découvre progressivement. Mettant en scène cette galerie de personnages dont il se garde bien de faire des stéréotypes, l’auteur britannique, lui-même ancien bouquiniste, apparaît subtilement satirique, auscultant à la loupe les travers humains. Sans méchanceté ni cynisme, sans grossir le trait ou donner dans la caricature. Son regard se veut au contraire toujours compatissant, sinon empathique. Même si son regard est finalement assez sombre, les différents couples étant tous plus ou moins en crise. Trad. Alain Defossé (J’ai Lu)

 

VannDavid Vann, Dernier jour sur terre

Né en Alaska en 1966, David Vann s’est fait connaître par des livres durs et éprouvants comme Sukwan Island ou Désolations, best-sellers dans de nombreux pays. Paru en 2011, Dernier jour sur terre n’a pas connu le même succès, loin s’en faut, l’Amérique n’ayant pas voulu affronter ses démons. Comme dans Bowling for Columbine de Michael Moore ou Elephant de Gus Van Sant, il met en scène un carnage perpétré dans une université américaine: le 14 février 2008, un étudiant de 27 ans, Steve Kazmierczak, tue cinq personnes et en blesse dix-huit autres dans son université avant de se donner la mort. Si l’écrivain a été à ce point marqué par ce fait divers, au point de mener sa propre enquête, rencontrant ses camarades, lisant ses livres ou visionnant ses films préférés, c’est parce qu’il s’est vu renvoyé à sa propre vie: à 13 ans, il a hérité des armes de son père qui venait de se suicider. Parmi elle, figure une carabine avec laquelle, la nuit, du haut d’une colline, il s’est mis à viser les maisons en contre-bas, mettant en joue ses habitants. Sans jamais appuyer sur la gâchette. Et pendant ce temps, il était un élève brillant, impliqué dans les activités scolaires. Tout comme l’était Steve. Cette proximité rend ce document d’autant plus fort et vrai. Trad. Laura Derajinski (Gallmeister/Totem)

 

MahfouzNaguib Mahfouz, Karnak Café

Dans ce bref roman publié en 1974, le Prix Nobel 1998 rend compte des «mauvaises habitudes» de son pays, l’Egypte. Au début des années 1960, trois jeunes étudiants fréquentent un café tenu par une ancienne actrice. Se considérant comme des enfants de la révolution nassérienne de 1952 qui a installé la république, ils sont néanmoins plusieurs fois arrêtés et finalement torturés. Sans avoir de quoi ils sont accusés. Une remarquable photographie d’une situation aussi tragique que kafkaïenne. Trad. France Meyer (Babel)

 

PaasilinnaArto Paasilinna, Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auvinen

Arto Paasilinna est, depuis la parution en français du Lièvre de Vatanen en 1989, l’écrivain finlandais le plus connu chez nous. Ses livres à l’humour absurde portent un regard caustique sur une société dont nous ne connaissons pas grand-chose. Ces Mille et une gaffes…, son quinzième livre traduit en français, ne déroge pas à la règle. Le saviez-vous? Les anges gardiens, comme tant d’autres professions, se réunissent une fois par an lors d’un séminaire organisé par l’ange Gabriel. Ils doivent bien apprendre leur métier et se perfectionner dans la protection des mortels! Mais que fait d’Ariel Auvinen, prof de religion de son vivant, qui multiple les gaffes? Lui confier un mortel n’est donc pas vraiment un cadeau, comme s’en rend compte l’infortuné Aaro Korhonen, natif de Laponie (comme l’auteur). Ce rentier très comme il faut, auteur de quelques livres, veut ouvrir un salon de thé avec une ancienne serveuse qui ne lui est pas indifférente. Ami d’un conducteur de corbillard, il fait un accident sous les yeux de son ange gardien impuissant. Voulant toujours bien faire, non seulement Ariel Auvinen ne lui est d’aucune aide mais rend la vie de son protégé de plus en plus périlleuse. Trad. Anne Colin du Terrail (Folio)

 

RuskinJohn Ruskin, La Bible d’Amiens - Sésame et les lys et autres textes

De 1899 à 1906, peu après avoir abandonné Jean Santeuil, Marcel Proust a consacré une grande partie de son temps à l’étude de l’œuvre du Britannique John Ruskin (1819-1900), développant dans son roman à venir un certain nombre de thèmes qui y sont abordés (dont le rôle de la mémoire  ou la possibilité d’accéder par la sensation à une connaissance profonde). Dans la préface de cette édition, Jérôme Bastianelli signale que Ruskin, «intellectuel engagé», a aussi bien écrit sur la peinture, l’architecture ou la valeur morale de l’art que sur «les méfaits de l’ère industrielle», «la dépravation des mœurs, le tourisme de masse, une meilleure distribution des richesses ou l’éducation des plus pauvres». Tout en mettant en garde, dès 1884, contre les risques d’un changement climatique provoqué par les activités humaines. Bien que ne maîtrisant pas parfaitement l’anglais, Proust va traduire deux livres de son aîné, faisant «sien le texte ruskinien». D’une part, La Bible d’Amiens, premier volume d’une série jamais réalisée consacrée à l’histoire du christianisme. D’autre part, Sésame et les lys, la meilleure vente en Angleterre de son auteur. La première partie est consacrée au thème de la lecture, la seconde à l’éducation des jeunes filles, vision que le traducteur conteste dans sa préface. D’ailleurs, ce  livre, il le jugera «très embêtant», au point de regretter de «l’avoir choisi». Ce très riche volume comprend également une douzaine de textes de l’auteur d’À la recherche du temps perdu évoquant Ruskin ainsi que des pages choisies de celui-ci consacrées à la nature, à l’homme et aux animaux, à l’art et à la vie.  Trad. Marcel Proust (Bouquins)

 

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