Les poètes liégeois contemporains de qualité sont si nombreux que l’on en oublie toujours l’un ou l’autre ! Ainsi ne parle-t-on peut-être pas assez de Pascal Leclercq, qui construit pourtant, depuis déjà presque vingt ans, une œuvre singulière, forte et obstinée, sans concession. Cette œuvre est riche et variée, tant dans ses formes que ses lieux d’édition : elle compte des traductions de l’italien (dont deux romans d’Alessandro De Roma parus chez Gallimard), des polars complètement déjantés publiés au Québec mais se déroulant à Liège et une vingtaine de recueils de poèmes, édités principalement à Nancy à l’enseigne de La Dragonne.
Hélium, le dernier d’entre eux, présente une double originalité : d’une part, le texte entre en relation avec l’iconographie de Jac Vitali, qui propose des sortes de détournements d’anciennes photographies, et, d’autre part, il épouse la forme d’un journal, sans pour autant en être un : un sous-titre porte d’ailleurs la mention « Journal apocryphe ». Il s’agit de petites notes datées (Leclercq précisant le jour, le mois mais non l’année, comme pour ancrer le texte dans le temps tout en maintenant autour de celui-ci une nimbe de flou) portant sur les sujets les plus divers, micro-récits de voyage, anecdotes du quotidien, brefs arts poétiques (en forme de question et non d’affirmation), contes philosophiques en deux phrases, déclarations lyriques et énigmatiques à un « tu », faux aphorismes (« L’espace ne déteste pas les vérités générales »), fables minuscules, ébauches de fantasmagorie, descriptions d’impressions mentales… Presque chaque petit texte mériterait sa propre définition. Il s’ensuit que le journal en devient une forme tout à fait paradoxale : à la fois contraignante (les textes sont courts et datés) et ouverte, même quant à la question de l’occupation de la page (la plupart des textes sont en prose, mais certains d’entre eux sont disposés en vers libres). Le ton lui aussi est très varié : certains passages sont lyriques, d’autres volontairement prosaïques.
Malgré cette impressionnante diversité, qui témoigne de l’infatigable esprit de recherche de l’auteur, Hélium est un recueil tout à fait cohérent. L’unité du livre tient sans doute au travail particulier de la forme brève auquel s’astreint ici, avec une belle constance, Pascal Leclercq. Les incipit sont volontiers abrupts, frappants, directs, comme pour réveiller sans cesse le lecteur, tandis que les fins de textes se refusent à l’effet, aux concetti, à la flèche, à la chute. Le fragment, commencé en fanfare, s’achève plus qu’il ne se clôt, ce qui donne à la lecture un rythme tout à fait particulier, en deux temps et fait de ce recueil une expérience littéraire magistrale et troublante.
Laurent Demoulin
Pascal Leclercq, Hélium, Nancy, La Dragonne, 2014.
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