Nicole Malinconi, Un grand amour

MalinconiChez mon cher libraire (profitons de cette parenthèse pour dire notre amour des vraies librairies : tenez bon, amis libraires, résistez aux fausses librairies, aux sites de marchands de bouquins à la pelle et aux livres électroniques piratés sur Internet), chez mon cher libraire, disais-je, ce livre de Nicole Malinconi se trouve dans le rayon « poésie ». Et en un sens, l’importance de l’écriture, dans la prose de Malinconi, donne raison à ce classement : il s’agit d’une forme de poésie. Mais aussi, malgré le petit nombre de pages, d’un petit roman. La seule indication générique se trouve dans le colophon, à la fin du livre, où il est question d’un « récit ». Mieux vaut peut-être cependant considérer que Un grand amour est un livre inclassable.

Le titre est surprenant également : il laisse rêver à une tendre idylle. Or, la narratrice, celle qui évoque, dès l’incipit, le grand amour de sa vie, est Theresa Stangl, l’épouse de Franz Stangl, le commandant du camp d’extermination de Treblinka. Nulle ironie pourtant dans ce titre : cette femme a vraiment aimé cet homme, sans partager pour autant l’odieuse idéologie qui a fait de lui un monstre et en désapprouvant en son for intérieur les crimes nazis.

Le livre obéit à un dispositif original : deux pages de présentation permettent à Nicole Malinconi de situer son propos et de citer ses sources : elle se base sur un livre d’entretiens réalisé par la journaliste Gitta Sereny, qui a interrogé Franz Stangl, dans sa prison, puis son épouse, qui vivait à Sao Paulo. Après quoi, l’écrivaine donne directement la parole à Theresa, en un monologue profond et saisissant, qui soulève de nombreuses questions sans jamais sombrer dans le moralisme ou la leçon toute faite : la narratrice essaie d’expliquer ce qui demeure pour elle-même inexplicable : son mari était à la fois un homme aimant et sensible auprès d’elle et, ailleurs, dans une autre vie, un assassin. Quelle force l’a contrainte à s’aveugler sur cette autre vie ? Quel autre forme de cécité a pu permettre à son mari de supporter cette double vie et cette double identité ? Cette force serait-ce l’amour ?

Nicole Malinconi a écrit là un livre à la fois magnifique, troublant et terriblement efficace, profondément humain et ouvert sur l’inhumain. Elle prolonge là, d’une manière extraordinaire, la voie nouvelle ouverte dans son œuvre par Vous vous appelez Michelle Martin.

 

Laurent Demoulin

 

Nicole Malinconi, Un grand amour, Esperluète Éditions, 2015, 52 p.
 

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