Ce second roman d’In Koli Jean Bofane décrit la suite de l’exploitation colonialiste qui a nom aujourd’hui mondialisation : extraction des ressources naturelles sans aucun respect de l’environnement, exploitation cynique des hommes. Tous les titres sont suivis de leur traduction en mandarin, ce qui donne une dimension visuelle immédiate au mot ‘mondialisation’. Le personnage principal, Isookanga, est un jeune Ekonda (‘Ekanga pire’, c’est-à-dire pur), ceux que les Européens ont appelés ‘Pygmées’. Son rêve est de sortir de sa forêt et de réaliser en vrai le jeu de rôle auquel il s’adonne sur un ordinateur portable subtilisé à une Belge qui faisait partie de la délégation venue de la capitale pour inaugurer le pylône de télécommunication tout près de son village. Il s’agit d’éliminer les concurrents et de s’approprier un maximum de col-tan, d’uranium et autres richesses minérales du sous-sol. Rien a priori qui puisse le rendre bien sympathique. Mais il est à vrai dire touchant dans sa naïveté. Il se retrouve au Grand Marché de la capitale avec les enfants des rues, sous la protection d’une fillette qui a su se faire respecter par les autres shégués. Il ‘tracte’ avec application et en association avec le jeune Zhang Xia, tout aussi paumé. L’un comme l’autre sont des victimes d’idéologies complémentaires alors qu’elles sont censées s’opposer (la toute puissance du marché, les États-Unis comme le grand Satan). Le Chinois sera confondu sur de fausses preuves, alors qu’Isoo, muni de la carte des richesses souterraines de sa région, y retourne avec son oncle, l’ancien du village, fort préoccupé de ce qui menace la forêt dont il est le gardien.
Testament de Bismarck, puisqu’il s’agit toujours de piller les ressources du continent. S’y ajoutent des couches multiples et sordides de trafic et de corruption, y compris dans les forces de la MONUCC, de culpabilité condescendante chez les africanistes. Mais il reste l’espoir de la solidarité parmi les enfants des rues. Célio, le héros du roman précédent (Mathématiques congolaises), est mentionné à deux reprises sans jamais paraître : il travaille pour une rare personne honnête qui, contre vents et marées, parvient à faire coincer un trafiquant et son complice dans les forces des Nations-Unies.
Un dernier mot : même si le sujet est sinistre et i le diagnostic est terriblement exact, le roman est aussi très drôle.
Christine Pagnoulle
In Koli Jean Bofane, Congo Inc. Le testament de Bismarck, Actes Sud, 2014, 294 pages (Grand Prix du Roman Métis 2014)
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